Chapitre 46.1, Le sang et les larmes

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ALYSSA


Les mains d'Alyssa seraient fortement celles de son frère alors qu'elle lui disait au revoir. Plus que leur lèvres, c'étaient leur yeux qui s'offraient milles promesses. Ensemble, ils étaient dangereux. Séparés, ils devenaient incontrôlables. Mais Isendre, malgré son regard toujours aussi doux, avait, au fond de ses iris cette force que la griffonne n'avait pas vu grandir. Cette puissance qui ferait de lui l'héritier qu'elle ne saurait jamais être.

Car elle était Elue. Ne pourrait offrir à son sang et à sa région tout ce qu'elle aurait dû. Des enfants d'Artos, Alyssa aurait été la plus méritante après la défection de son ainé. Mais son père n'était plus là et ne restait de l'immense famille que des cendres qui lentement s'étendaient sur Nokrov. Alessandre était roi. N'était-ce suffisant ? Si seulement il avait pu se contenter du monde tel qu'il était. S'il avait épousé la princesse en des noces merveilleuses et avait pris le nom d'Iseal. Mais les tigres étaient morts et le nom des griffons sonnait maintenant douloureusement.

Alyssa releva pourtant le visage, embrassant des yeux tous ceux qu'elle nommait maintenant alliés. Peut-être son sang n'était-il fini ? S'ils parvenaient à reprendre la couronne....

Jamais elle n'avait sentit ses mains aussi bien trembler. Dès qu'Isendre les avait quittées pour grimper sur sa monture, elles avaient repris leur danse folle. Si la griffonne tenta de les poser sur son ventre, elle ne parvient qu'à les rendre plus moite encore. Les cavaliers, si beaux dans les armures nettoyées brillantes de mille feux, offrirent un dernier salut aux marins et habitants d'Aurovao. C'est sous leur acclamations qu'ils quittèrent l'oasis et s'enfoncèrent dans le désert.

Alyssa se retourna vers les vatners et le général que Tahir avait laissé pour les guider. Elle s'approcha de l'homme aux traits trop doux pour son âge. Rasé de près, Amar avait l'oeil vif du faucon et quelques ridules aux coins des yeux, témoins passés de ses nombreux éclats de rire. Tahir avait laissé avec eu l'un de ses hommes les moins secs, espérant qu'ainsi Alyssa se comporte comme la dame qu'elle n'était pourtant pas.

La griffonne appréciait l'homme des sables. Il lui rendait bien et, à l'inverse de tous les hommes de sa vie, se comportait plus comme un compagnon de route qu'un père de substitution.

— Sommes-nous prêt ? demanda-t-elle, les traits tendues par l'appréhension.

— Nous partons dès qu'Hivtur sera revenu.

— Je vais le chercher.

Le regard d'Amar se noircit, à peine une seconde. Depuis la réunion, Alyssa n'avait pas approchée le vatner dont la colère n'avait échappé à personne. La griffonne, bien assez coupable, le laissait faire une nouvelle fois son deuil sans tenter d'offrir des mots qui, elle le savait, ne suffiraient jamais à pardonner son acte.

Aujourd'hui, sous le soleil flamboyant des Ramales, elle voulait saisir l'occasion. Ils allaient passer de nombreuses semaines sur un bateau ensemble et elle ne voulait plus de tension. La haine ne leur apporterait rien, Qeder lui avait si bien expliqué. Elle voulait croire les mots de celui qui n'avait pu lui faire que de trop brefs adieux avant de l'embrasser à l'abri des regards indiscrets. Les deux amants, dans tout leur amour volé, s'étaient promis de se retrouver. En sachant parfaitement qu'ils n'étaient maitre du destin qu'ils se promettaient pourtant.

Hvitur était dans un temple improvisé par les voyageurs, à la gloire des Sides. Nox et Lux se partageaient le lieu. Pour une fois, les deux Soeurs n'étaient pas représentées, laissant aux religieux le loisir de les imaginer. Alyssa baissa la tête pieusement à l'entrée des lieux, offrant un salut rapide aux Déesses avant de pénétrer la petite pièce. Il faisait bien plus froid ici qu'à l'extérieur et Hvitur, à genoux et les yeux fermés, était seul.

Alyssa se racla la gorge, interrompant le mouvement de ses lèvres. Le regard du vatner se tourna vers elle, s'assombrit à l'instant même où il l'apercevait. Il se releva, rapidement, et s'apprêta à sortir. Elle lui bloqua le passage de son corps frêle. Il voulu passer par la droite. Elle se décala. Réitéra à gauche.

Il grommela, ne fit pourtant pas bouger la jeune fille. Alors qu'aucuns mots ne semblaient vouloir franchir ses lèvres, Alyssa lança la discussion. Si son visage semblait de marbre, ses yeux suppliaient qu'il l'écoute, pour de bon.

— Je suis désolée Hvitur. Vraiment... Et j'aimerais que tu m'écoutes. Nous sommes dans un lieu saint pas vrai ? Ici, sous le regard de Nox, j'ai pas le droit de mentir. Alors s'il te plait. Accorde moi juste quelques minutes.... Je sais que je n'aurais pas du faire ça mais...

— Tu as tué ma famille.... coupa-t-il.

— Je ne voulais pas faire ça, souffla-t-elle. Je te le jure Hvi', je ne voulais pas faire ça.

— Alors pourquoi, Alyssa, hein ? Tu as détruit presque tout ce que j'aimais, tu as détruit les miens, tu as tué mon épouse et ma famille. Pourquoi, si c'est pas c'que tu voulais ?

— Parce que je...

Elle garda le silence une seconde alors que ses mains remontaient à ses bras, cherchant du réconfort dans sa propre chair. Ses ongles, sous la tension, s'enfoncèrent dans sa peau. La douleur, bien que minime, lui fait relever le visage, accrocher le regard du vatner. Il n'y avait plus seulement de la haine dans les yeux bleus. Il essayait, réellement, de comprendre.

Alors les mots coulèrent des lèvres de la griffonne sans discontinuer. Elle lui raconta les moindres détails, des promesses de mariage jusqu'à cette nuit où tout avait basculé. Hvitur ne l'interrompait pas, ne bougeait pas. Malgré les horreurs, son regard ne s'attendrissait pas. Elle sentit, au creux de ses propres yeux, les larmes commencer à monter. Alyssa pleura, sentant les larmes rouler sur ses joues alors que pour la première fois elle mettait des mots sur ce qu'elle avait vécu.

Puis sa gorge se serra, interrompant son récit. Elle avait mal de revivre ce qu'elle voulait pourtant enterrer dans un coin de son esprit pour ne plus jamais revoir ce visage qui la hantait dans ses songes.

Il la surprit, alors qu'elle relevait un visage couvert de larmes vers lui, à la prendre dans ses bras. Là, au sein de ce temple, dans ce pays trop chaud qui n'était pas le sien, elle venait de trouver un véritable allier. Le seul contre qui elle se lassa aller à la peine qui la consumait. Hvitur était ce père, fort, qu'elle avait toujours porté aux nues. Il était un Arthos qui ne l'avait pas trahit, qui ne l'avait pas jeté, sans la moindre arme, dans la fosse au lion. Lui aussi était un guerrier. Un véritable, pas un ersatz de ce qu'il avait été.

Alyssa pleura pendant ce qui lui sembla une éternité. Il fini par relever son visage, essuyer les restes de larmes sur ses joues, un sourire sur les lèvres. Puis il prit sa main et l'entraina à sa suite, sans un mot de plus. Elle savait, au fond, qu'il lui avait pardonné. Qu'il avait surtout compris ce que ses gestes lui coutaient. Jamais Alyssa ne s'était sentie si entière. Pour la première fois, alors qu'elle suivait Hvitur, elle avait confiance dans cet avenir qu'il ouvrait de sa hache pour eux. Il ne pourrait jamais rien leur arriver tant que le vatner était de leur côté et surveillait leur arrière. Alors elle jura que, quoi qu'il arrive, elle ferait tout pour lui. Pour qu'ils puissent survivre et enfin, dans un coin du monde, vivre.

* * *

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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant