Chapitre 7.1, Sur les pas de Uibh

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HVITUR

 Les yeux du vatner couraient sur le parchemin vierge, étendu sur la table de sa chambre. Tahir lui avait fourni papyrus et calame afin qu'il tente de contacter les membres de sa famille. Mais Hvitur, s'il savait lire, était mauvais pour écrire. Ses traits étaient tremblants, sa grammaire imparfaite. Et il ne savait quoi écrire, quoi dire. L'idée d'envoyer un corbeau pour ne jamais recevoir de réponse lui broyait l'estomac, la peur semblant étrangler tout son être.

Il soupira, renonçant.

Derrière lui, la porte s'ouvrit dans un grincement. Hvitur tourna la tête et aperçut Afi. Celui-ci tenait dans sa main sa hache, les doigts serrés sur le manche. Dans ses yeux d'onyx, la flamme brûlait toujours avec intensité. Le vatner se leva lentement, observant le corps qui déjà se musclait ; les entraînements étaient intenses et pourtant, le jeune garçon ne relâchait jamais ses efforts. Cela faisaient des semaines que, chaque jour, Hvitur lui apprenait à manier la hache. Afi apprenait vite et était bon élève, et malgré le mépris que Tahir affichait ouvertement vis à vis des vatners et de leurs mœurs, son fils cadet suivait les leçons de l'îlien avec passion.

Si Qeder était un diplomate, Afi serait un jour un guerrier – Hvitur en était certain.

— C'est l'heure de l'entraînement, dit le garçon.

Le vatner ne put réprimer un sourire amusé tandis qu'il saisissait sa hache pour l'accrocher à sa ceinture, rejoignant son élève et le poussant doucement vers la sortie. Tous deux quittèrent le fort pour se rendre à la palmeraie, comme ils le faisaient depuis quelques semaines. Il avait suffi de ce temps pour qu'Afi sache lancer une hache comme un vrai vatner, et il ne désirait que passer à l'affrontement. Hvitur ne cessait de repousser ce moment, préférant s'assurer d'abord du mental du petit ; mais le temps était venu.

— Avant d'attaquer, tu dois trouver l'équilibre. Ta hache est lourde, alors tu seras facile à déséquilibrer face à quelqu'un portant une simple épée. Mais on dit qu'il n'est nul homme plus agile qu'un fils des Ramales.

Afi le regarda avec intérêt, buvant ses paroles – et dans ses yeux luisait une fierté sans nom que l'îlien appréciait réellement.

— Aujourd'hui je vais te montrer comment te servir d'un bouclier.

— C'est pas dur, siffla le gamin.

Hvitur arqua un sourcil moqueur face à l'assurance du gamin. Du haut de ses treize ans, Afi était déjà un homme, fier et brave. Trop, peut-être. Il étouffa un rire, se saisissant de l'un des deux boucliers qu'il avait préparé. L'écu était lourd, tout fait de bois et renforcé d'acier. Mais il était, peut-être plus encore que la hache, une arme redoutable. Le vatner le souleva sans difficulté, se campant sur ses jambes et l'amenant à hauteur de son buste.

— Attaque-moi Afi, je t'attends, dit-il.

Il ne fallut qu'une seconde pour que l'enfant obéisse, soulevant sans grande difficulté sa hache pour frapper vers Hvitur. Celui-ci s'abaissa à peine, para le coup du bouclier, et avança d'un pas vif, repoussant l'attaque et déséquilibrant Afi. Celui-ci tomba bêtement en arrière et regarda l'îlien d'un œil mauvais. Trop fier, trop orgueilleux.

Le renard abaissa son bouclier et tendit une main au garçon pour l'aider à se relever.

— Comme je te l'ai dit... L'équilibre, c'est primordial.

Du coin de l'œil, il capta trois silhouettes qui regardaient dans leur direction. Il tourna la tête vers eux et reconnut Tahir, Vrekim et Karona. Celle-ci se tenait un peu en retrait vis à vis des deux autres. Toutefois, ce qui intéressa le plus le vatner fut le regard que posait Tahir sur son fils. Un regard autoritaire, implacable, qui ne voulait dire qu'une chose – Afi n'avait pas droit à l'erreur.

— Mon père nous regarde, remarqua le garçon.

Hvitur hocha la tête. Il s'accroupit pour se trouver à sa hauteur et planta son regard dans le sien, la mine assurée.

— Il est temps de lui prouver quel guerrier tu es, hein ?

— Je n'suis pas un guerrier, souffla Afi.

— Tu vas en devenir un. Tu en as la volonté.

Le fils de Ramales sourit alors, comprenant où Hvitur voulait en venir – le dicton venu des îles lui apparaissait comme une évidence. S'il en avait la volonté, alors il serait un guerrier vatner, comme il souhaitait l'être – il avait écouté et admiré les enseignements de l'îlien, ses histoires concernant sa terre natale, ses légendes et sa mythologie. Lui aussi voulait être un vatner.

Hvitur posa une main sur son épaule, souriant avec bienveillance. Cet enfant lui plaisait réellement, le réconfortant un peu alors que la crainte d'avoir perdu sa famille lui pesait.

— L'équilibre, lui rappela-t-il simplement.

Afi hocha la tête, ramassant la hache qu'il avait fait tomber. Le vatner, quant à lui, récupéra son bouclier et le souleva. Puis il adressa un signe de tête au garçon, qui attaqua aussitôt – et cette fois-ci, se préparant au coup d'écu, il parvint à rester debout – et attaqua à nouveau, sous le regard inquisiteur de Tahir.

* * *

Sur tout son corps, une fine couche de sueur luisait sous le soleil de fin d'après-midi. Hvitur venait de mettre fin à l'entraînement d'Afi, jugeant qu'ils en avaient assez fait pour ce jour-ci. Le garçon progressait réellement, rendant le vatner fier de lui, comme un père avec son fils. Tahir avait observé, de longues minutes durant, puis avait hoché la tête avant de repartir. Il semblait avoir enfin compris quel guerrier serait un jour son fils cadet – et bien que les méthodes des vatners semblaient l'indisposer, Afi était déjà très indépendant et semblait bien se ficher de son avis.

Le vatner alla se reposer au bord de l'eau. Les lavandières semblaient avoir terminé leur travail, puisque les seuls à se trouver près de l'eau étaient deux enfants qui jouaient, s'éclaboussant.

Hvitur les regardait, quelque peu ému. L'Oasis d'Oneone était une véritable arcadie dans un monde trop sombre. Loin des armes qui se soulevaient pour préparer la guerre, loin des couronnes qui cerclaient le front des serpents, la paix existait auprès du Fort d'Aurovao. Et pourtant, le vatner savait que l'accalmie ne durerait qu'un temps, que bientôt le sang, le feu, l'acier, viendraient souiller cette terre. Tahir était le grand danger des Ramales par sa simple présence – Karona ne venait que rajouter au poids de la balance ; et l'épée qui pendait au-dessus de leur tête, menaçante, ne tarderait pas à tomber. Ils devraient partir avant qu'elle ne chute et ne les blesse.

Des pas étouffés par le sable derrière lui attirèrent l'attention de Hvitur. Il se retourna et découvrit la Reine qui s'approchait. Son regard était toujours voilé de tristesse et il pouvait le comprendre, elle qui avait tout perdu. Il ne se força pas à sourire pour la rassurer, lui adressant simplement un regard compatissant et un hochement de tête en guise de salut.

[...]

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant