Chapitre 30.2, Là où il n'est pas de guerre

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[...]

Sans un mot de plus, elle quitta le couloir au pas de course, allant trouver l'air froid de la nuit. Le soleil était tombé à une vitesse folle, faisant place à la lune qui dispersait sur le monde sa pâle lueur, rendue rougeâtre par le ciel de sang. Elle regarda celui-ci en marchant vers l'oasis, déserte à cette heure, se laissant tomber face à elle pour baigner son visage d'eau glacée. Rêvait-elle ? Son fils était-il réel ? Ou tout cela n'était-il que mirage ?

L'éther rougeoyait comme les flammes d'un brasier, les nuages y voguant lentement comme les feux d'une guerre imminente. Le monde n'était plus qu'un grand champ de bataille, et alors que le noir du chaos et le rouge du sang semblaient embrumer pleinement sa vie, son fils lui revenait – comme une unique lueur dans la nuit.

Une larme roula encore sur sa joue, y traçant un sillon humide. Elle fut arrêtée dans sa course par un doigt. Karona leva lentement les yeux vers celui venu la consoler et sourit faiblement. Hvitur se tenait à ses côtés, comme un chevalier servant, un prince sorti des histoires dont se gavait la pauvre Nova. La Reine le laissa s'asseoir à ses côtés, restant longuement muette.

— Nous avons tous deux retrouvé un fils ces derniers jours. La vie ne devrait-elle pas être belle ? murmura-t-elle, sans vraiment attendre de réponse.

— J'avais abandonné Kristolt.

— Et Klovild ?

Du coin de l'œil, elle vit Hvitur sourire en coin.

— Abandonnée, elle aussi. Mais c'était sans doute au mieux pour elle, j'aurais fait un piètre père et un piètre mari.

— Vous n'avez pas d'autre choix que d'être père aujourd'hui.

— Et vous êtes mère à nouveau.

Il lui sourit plus franchement. Appuyé sur ses bras, son regard directement plongé dans le sien, Hvitur était bien loin de tout ce qu'elle avait pu connaître. Karona sourit à son tour, fascinée par l'homme qu'il était.

— Et est-ce la guerre qui m'empêche d'être heureuse ? osa-t-elle.

— La guerre tue le bonheur. Plus encore quand on fait partie du camp rebelle, je pense. On est jamais à l'abri de rien. Pas de château, pas de murailles. Notre seul rempart ici, c'est le sable.

Il soupira avant de rejeter la tête en arrière, sa tresse se balançant alors dans son dos. Karona le regarda longuement.

— Alors ne parlons plus de guerre...

Le vatner tourna la tête vers elle, lui adressant un maigre sourire, compatissant aux douleurs qui l'habitaient encore. Elle se sentit alors comprise, encore une fois, par cet homme qui était aux antipodes de ce qu'elle était. Elle laissa l'une de ses mains glisser jusqu'à celle de l'insulaire, ses doigts emprisonnant doucement les siens. Hvitur parut surpris, arquant les sourcils et la regardant, ses yeux clairs pleins de questions.

— Ne parlons plus de tristesse, murmura-t-elle.

Karona se sentait le souffle court, le cœur affolé, et pourtant elle approcha lentement son visage de celui du vatner, jusqu'à mêler leurs respirations. Son souffle chaud contre ses lèvres lui rendit un peu de vigueur, un peu de rêve. Elle approcha encore, franchissant la distance séparant leurs lèvres pour les joindre en un baiser sincère. L'une des mains de Hvitur quitta le sol pour caresser sa joue, ses cheveux, avec une douceur qu'elle n'aurait su imaginer chez un homme des îles du nord. Pourtant, elle sourit contre sa bouche, apprécia sa langue qui caressait ses lèvres alors qu'il la faisait doucement basculer contre le sable.

Les lèvres du vatner descendirent contre sa mâchoire saillante, déposant des baisers contre sa gorge et son cou, ses dents venant saisir la peau avec légèreté. Karona gémit doucement, ondulant avec langueur entre le sable et l'homme des mers.

Emporté par la passion qui les animait, Hvitur releva ses jupons pour que sa main s'y fraye un chemin, caressant son intimité de ses doigts avant d'y descendre ses lèvres. Il lui procura du plaisir, appréciant ses gémissements, souriant contre sa peau qui se dénudait un peu plus au fil des secondes. Puis il remonta à sa bouche, l'embrassa avec ferveur.

— Hvitur, je te veux, murmura-t-elle.

Il sourit un peu plus contre ses lèvres, prolongea encore le baiser tout en défaisant ses chausses d'une main. Puis à l'orée de la guerre, au temps où n'existent plus ni passion ni plaisir, il lui fit l'amour avant de se coucher à ses côtés, appréciant la pluie qui commençait à se déverser, clapotant contre l'eau de l'oasis, ainsi que le sable contre leurs corps nus. Il semblait l'observer encore sous la pâleur de la nuit alors qu'elle tentait de cacher sa chair – celle-ci avait été meurtrie par le temps. Les années avaient fait d'elle une femme d'âge mûr, et qu'il s'agisse des enfants qu'elle avait porté ou des coups que son mari avait déjà pu lui donner, elle portait des cicatrices de la vie qui déjà s'étendait derrière elle.

Une autre vie à laquelle elle avait échappé en fuyant. Une piètre Reine.

Les mains de Hvitur vinrent doucement saisir ses poignets, écartant ces bras qui l'empêchaient de voir. Elle émit quelque résistance avant de finalement le laisser faire, tandis qu'il caressait du bout des doigts son ventre, ses seins, ses épaules, son cou. Puis sa main caressa sa mâchoire, sa joue, tandis que le vatner plongeait son regard dans le sien.

— Tu es belle, dit-il sur un ton de promesse.

Karona sourit doucement, se rapprochant de lui pour venir se blottir contre ce corps encore jeune et fort, plein de vigueur tandis qu'elle sentait déjà les effets de l'âge. Elle posa son visage contre son torse, appréciant les vibrations d'un cœur battant, d'un cœur vivant – la vie, voilà tout ce qu'elle voulait en ces temps troublés.

— Tu es Reine, murmura Hvitur, comme réalisant ce qu'il avait fait.

— Non.

Il la regarda curieusement, et la vit sourire légèrement tandis que ses doigts caressaient les épaules finement musclées du renard.

— Avec toi je ne suis que Karona, souffla-t-elle sur un ton de secret, avant de fermer les yeux.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant