Chapitre 42.1, Connaissances obscures

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DAENA


"Père,

Au regard des récents événements, je me dois de vous prévenir. Les Elus se sont retrouvés et ensembles, préparent une rébellion.
J'ai fais tout ce que vous m'aviez demandé. J'ai accompagné le griffon et le fils de la Lumière. J'ai accepté vos exigences, me suis montrée douce et sensible, à l'écoute de leurs déboires et de leur désirs. J'ai joué à la perfection la carte de la demoiselle sage que vous désiriez que je sois.
Mais la lumière est devenue ombre en une nuit d'orage. Il m'a confondu avec elle et père, je dois vous avouer avoir eu peur. Je me suis tue au bout d'un moment. J'ai du me taire. Il ne m'entendait pas...
Père, je vous en supplie. Dites moi que, lorsque tout sera fini, la récompense vaudra les sacrifices. Car vous aviez raison. Notre Elue n'a rien à voir avec eux. Le fils de la lumière est un monstre, persuadé d'être le sauveur de notre monde. Et la fille... Elle se débat contre elle-même tout les jours mais Nox essaye de percer ses défenses. Père, un jour, ils exploseront tout deux et je ne veux pas être là lorsqu'ils déchaineront leur pouvoir.
Tout fois, je ne vous envoie pas ce courrier pour faire couler vos larmes.
Père, je porte son fils."

Dans un accès de colère, Daena froissa le papier et l'envoya voler loin dans la pièce. Sa lettre était idiote, un appel au secours qui ne servirait à rien et que son père ne prendrait pas le temps de lire. Elle ne pourrait de toute manière jamais l'envoyer, ne pourrait pas s'en servir. Elle était piégée aux Ramales, entourée d'êtres plus dangereux les uns que les autres.

Elle se leva et attrapa la feuille. D'une main nerveuse, elle mit le feu au papier. Puis ferma les yeux, tremblante.

Ses doigts se glissèrent, instinctivement, jusqu'à son ventre. Elle avait eu, trop souvent, envie de poignarder ce corps qui l'avait trahit. Son père serait heureux d'apprendre la nouvelle, c'était certain. Mais c'était bien le seul. Daena ne voulait pas être mère, pas déjà. Pire encore. Elle ne voulait pas porter l'enfant de ce monstre qui avait fait d'elle une simple catin qu'on couche là. Il lui avait volé honneur et fierté, lui avait tout prit pour ne laisser que des cendres.

Elle regarda le papier finir de bruler avant de le jeter dans une cheminée qui ne devait pas servir souvent. Ses yeux glissèrent jusqu'à l'extérieur, où le vatner entrainait le gamin Amal. Il n'y avait bien que Hvitur pour lui changer les idées, que lui pour la faire rire.

Daena enfila une tenue légère, de voile et de soierie, qui, dans un autre temps, l'aurait comblée de bonheur. Ces tenues n'étaient pourtant maintenant plus que le dernier de ses soucis. A peine un petit bonheur. La renarde se savait belle, savait jouer de son corps, savait manier son doux minois. Mais aujourd'hui... Elle frémissait au plus petit regard sur sa personne, n'offrait qu'un sourire pour toute excuse. Elle avait peur de ceux qui l'entourait. Prise aux pièges, elle ne pouvait pas mordre, ne pouvait pas perdre aujourd'hui tout ce que les siens avaient mis en place pendant de trop nombreuses années.

Daena fit un détour par la bibliothèque chargée des Amal. L'étendue de leur connaissance la laissant pantoise. Les étagères étaient immenses, s'élevant jusqu'à un plafond à la charpente apparente. Les Ramales semblaient apprécier les formes complexes et gravaient, dans la pierre comme dans le bois, une dentelle minutieuses. Daena aurait pu observer pendant des heures leur architectures, si différentes des simples châteaux des Seascannes. Elle l'avait fait durant les premiers jours où elle s'était retrouvée comme une lionne en cage, prisonnière de l'oasis. Dans le désert, ils avaient réussi à créer un havre de paix qui en faisait presque oublier la chaleur suffocante.

La noble s'arracha à l'art en avançant. Elle s'était rendue tant de fois dans la bibliothèque. A son arrivé, ses yeux avaient découverts des tableaux plus ancien que sa propre maisonnée qui racontait des histoires épiques. Ses doigts avaient goutté au bois finement poli et travaillé par des artisans minutieux. Maintenant, le lieu la laissait de marbre. Seuls les jardins avaient encore son amour. Daena attrapa le premier ouvrage qu'elle trouva, traitant de l'histoire complexe du Sud, de leurs guerres et de leurs conquêtes. La géographie de Nokrov avait tant changé au fil des siècles.

Puis elle sortie sous les soleils brûlants des Ramales. On l'avait toujours confinée en intérieur pour que sa peau reste aussi claire que les moeurs le voulaient mais elle découvrait avec plaisir la chaleur contre son visage, cette même lumière qui rappelaient dans ses cheveux des reflets roux purement seascaniens. Depuis qu'ils étaient arrivés, Daena pouvait enfin respirer. Elle évitait Synsivik comme la peste, lui préférant le silence des jardins. Elle restait perpétuellement seule, s'enfonçant lentement dans une mélancolie qu'elle n'avait jamais éprouvée. Lorsqu'elle était plus jeune, Daena était toujours sollicitée. Pour apprendre avec son père, pour charmer avec sa mère et surtout pour écouter les vieilles légendes de sa grand mère. Elle découvrait une religion jugée déviante mais qui offrant bien plus que les autres Sides. Elle priait dans le sang, tâchant ses yeux d'ombres.

Ici ne régnait que le calme. Et ses prières se faisaient sans temple et sans sacrifice alors qu'elle offrait ses yeux à sa Déesse, alors qu'elle lui permettait de savoir ce que les Ramales cachaient. Elle offrirait une victoire, qu'importe qu'elle y laisse sa vie dans l'entreprise.

Elle n'eut pas le temps de s'installer que des larmes la tirèrent de ses pensées. Penchant la tête sur le côté, la jeune femme s'approcha. Cachée derrière une haute fontaine, aux milieux des buis, juste après quatre cyprès, une jeune femme offraient ses pleures comme une prière au patio. A l'abri des soleils et des regards, elle était venue ici pour se cacher. Daena reconnu immédiatement les cheveux roux et la petite taille de Siona. Vêtue d'une robe bleu pâle évasée, toute à la mode de Ramales de toiles et de voiles, l'ancienne domestique aurait pu être invisible si elle n'était envahit par les sanglots. Au fil des semaines, les deux jeunes femmes s'étaient rapprochées, Siona offrant la seule présence féminine qui n'était Elue ou Prêtresse folle.

Daena se racla la gorge, faisant sursauter la petite rousse. Ses grands yeux, embués de larmes, se posèrent sur elle et, dès qu'elle aperçue la noble, elle plongea un peu plus dans les sanglots.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant