Chapitre 41.2 , La prediction d'Oneone

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ALYSSA

La nuit était enfin tombée sur l'oasis.

Alyssa s'était échappée du repas, fuyant les paroles chargées de poison et de sous entendu qui lui donnait envie de hurler. Elle avait rejoint le silence des jardins, perdue dans la contemplation des étoiles. L'agitation de Port Mauer lui manquait et pourtant, elle n'avait jamais autant cherché le calme. Chaque jours, elle se sentait épiée par des yeux avides. Chaque jours, elle avait l'impression de reculer. Les entrainements avec Hvitur, bien qu'ils soient instructifs, la faisait fléchir sous le poids de la culpabilité. Elle le regardait dans les yeux, riait avec lui, s'amusait avec lui alors qu'elle avait détruit son peuple.

Elle poussa un soupir.

Demain commencerait la réunion qui, enfin, les ferait prendre une decission. Ils devaient se battre. Ils devaient remonter et réclamer ce qui leur revenait de droit. Demain, ils se perdraient dans une réunion qui les retiendraient pendant des heures et elle n'avait pas envie. Elle savait que la guerre viendrait et qu'ils devraient obéir à Tahir. A quoi bon en discuter pendant encore des années ?

Elle s'approcha de la fontaine, heureuse que personne ne l'ait accompagné. Ses doigts glissèrent sur l'eau, offrant leur fraicheur comme une caresse bienfaitrice.

Assise contre la pierre, Alyssa sursauta brutalement alors que s'approchait une beauté à la peau aussi sombre que ces yeux. La prêtresse s'excusa à peine, se plaçant à ses côtés. La griffonne ne pu s'empêcher de frémir à son odeur. Elle avait déjà croisé cette femme, n'avait jamais voulu la laisser avancer plus prêt. On la disait envoyé d'une déesse de l'amour uniquement propre aux gens des Ramales et Alyssa avait déjà bien assez à faire avec les siennes.

Elle la toucha pourtant, arrachant à la griffonne un glapissement nerveux. Elle la repoussa, ne prêtant pas attention aux mots que Kalilah soufflait.

La prêtresse s'enfuit en riant, emplissant le coeur de l'Elue d'une peur grinçante. Elle se méfiait des contacts, tremblait dès qu'une main se levait dans sa direction. Elle avait manqué mourir. Pire. C'était retrouvé aux prises avec un démon sur un navire détruit. Et tournaient, dans une ronde sordide, les rires et les peurs, grinçant dans son esprit. Jamais elle n'avait si bien tremblée seule dans son lit alors que la nuit obscurcissait les cieux. Nox était bien trop silencieuse depuis des semaines. Abandonnant à ses démons la griffonne.

Le silence l'entoura à nouveau alors qu'elle se perdait dans ses pensées. Une main dans l'eau, un soupir aux creux des lèvres, elle attendait. Espérait. Appréciait.

— Alyssa ? appela une voix.

Il s'approcha doucement, ses yeux noirs la détaillant au clair de lune. Tout va bien ?

Elle sursauta, ses muscles se crispant instantanément, avant de jeter au nouveau venu un regard noir. Ce n'était que Qeder, dont elle aurait dû reconnaitre la voix. Ce n'était que celui qui l'accompagnait depuis quelques jours, presque plus que son frère. Le seul qui, dans l'ombre de ses tourments, s'inquiétait encore un peu pour elle.

— Tout va bien ? demanda-t-il.

Alyssa força un sourire sur ses lèvres. Là, tout de suite, avec les centaines d'horreur dans son esprit, elle désirait seulement se blottir dans les bras de quelqu'un et la présence de Qeder relevait du miracle. C'était le seul dont elle acceptait la présence. Le seul qui parvient à lui arracher un sourire bancal.

— Je... Je ne suis pas certaine.

Se confier lui ferait du bien. N'était-ce pas ce que luia vait demandé Isendre ? Ne plus s'enfermer, s'ouvrir, vivre pour de bon. Elle croisa le regard sombre de Qeder, s'oublia une seconde dans ces magnifiques iris aussi noirs que les nuits sans lune.

— J'ai peur.

Elle tremblait. Pas de froid mais bien d'appréhension. Et les mots, soufflés entre ses lèvres comme une promesse volée, n'avaient jamais semblé si terrifiants que lorsqu'ils étaient pour de bon énoncé. Ces pensées étaient internes, n'appartenaient qu'à elle. En les confiant, enfin, elle avait l'impression de les rendre plus tangible que jamais. Et de concrétiser ses peur.

— Nous ne sommes pas assez forts pour vaincre Sibille. Elle a des hommes, je suis certaine qu'elle a également des espions, là, partout, qui nous écoute et lui rapportent nos moindres faits et gestes. J'ai peur Qeder. Peur de mourir et de perdre cette guerre. Je... Je ne suis pas prête pour tout ça.
— Alyssa, murmura-t-il. Je ne peux pas te dire qu'on va gagner. Je ne peux pas te le promettre. Mais il faut qu'on y croit, il faut que tu y croies.

Se plaçant devant elle, il saisit ses mains frémissantes, les effleurant timidement de ses doigts, attrapant son regard avec douceur. Elle se perdit un peu plus dans ce dernier. Il n'avait que quelques années de différences et pourtant, aux yeux de l'Elue, il semblait bien plus âgé. Lui n'était pas seul, lui n'était pas perdu. Car Nox ne parlait plus à la griffonne. Tout comme Lox avait abandonné Synsivik, ils étaient livrés à eux-même et malgré leur discussion houleuse, ils étaient pareils.

Qeder semblait bien plus sur de lui. Et, alors que ses doigts glissaient sur sa peau, Alyssa se sentait, enfin, en sécurité.

— Ce que tu portes en toi est supérieur à la force d'une armée. Tu dois y croire, Alyssa. Tu peux vaincre Sibille. Et si elle est plus forte que toi, tu pourras la vaincre avec l'aide de Synsivik. Tous te protègent. Tous croient toi. Tu n'es pas seule, Alyssa. Nox est là. Isendre est là. Je suis là. Et n'oublie pas qui tu es, d'où tu viens – tu es la fille du griffon, une fière fille de Talen, tu es dotée de serres et d'ailes. Rien ne pourra t'arrêter, crois-moi.

Elle ne répondit pas. Ces craintes flamboyaient dans son regard plus encore que les mots qu'elle ne pouvait pas prononcer. Alyssa ne voulait plus parler. Tant de phrases étaient tombées dans l'oublie. Ils parlaient tous trop, pendant des heures. Ils expliquaient des stratégies qu'elle trouvait idiote. Ils racontaient des histoires au lieu d'agir. Depuis combien de semaines étaient-ils bloqués ici ? A attendre, bêtement, que le monde avance sans eux ? Ils auraient du agir immédiatement, sans laisser le temps à la Rouge de réagir. Maintenant, ils allaient foncé dans le piège des rapaces. En payer le prix fort.

Aujourd'hui, Alyssa désirait autre chose que des paroles et des mensonges. Elle voulait se perdre dans les yeux noirs. Vivre, loin des demandes de sa Déesse. Redevenir, pour un instant, la gamine qu'elle n'aurait jamais du cesser d'être. Elle fêterait bientôt ses quinze ans. On lui avait volé ses rêves et ses espoirs.

— Tu crois en moi ?

Sa question hurlait de cette innocence enfantine qu'elle n'avait pas montré depuis des semaines. Ses doigts, lentement, se lièrent à ceux de Qeder. Elle les sera, peut-être même un peu trop fort. Rapprochant déjà son visage du sien. Peut-être se faisait-elle des idées. Ils s'étaient rapprochés, s'étaient apprivoisés et pourtant, Alyssa frémissait encore. C'était trop tôt. Toujours trop tôt pour elle. Mais il était si différent des autres. Si différent de ce monstre d'Helvar. Et si compréhensif des démons qui luisaient au fond de son coeur. Il voyait les ombres qui la marbraient. Semblait ne pas en prendre peur.

Ils se regardèrent, une seconde de plus.

— Je ne crois qu'en toi, souffla-t-il.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant