ISENDRE
Il fut compliqué d'affronter la tempête, mais le navire y était parvenu. Au matin, après la dure traversée de la mer de Sjorod, ils arrivaient enfin auprès des côtes des Îles Vatner. Isendre, agile comme un chat, alla se percher sur l'un des mâts du Kraken pour observer le grand village dont il approchait, la maigre cité des Noirmarées. Mais tout semblait étrange – tout semblait mort. Déjà il pouvait voir les cadavres qui jonchaient le sable, les carcasses des navires qui s'étaient écrasées sur la plage. Mais il n'y avait que peu de sang – pas de rouge sur l'ocre, non, simplement la trace indélébile des vagues ayant léché l'intérieur des terres.
Ses compagnons et lui accostèrent et il fut le premier à se jeter à terre, tirant déjà son épée, prêt à combattre malgré l'apparente absence d'âme en ces lieux. Ses yeux balayèrent la plage, se posèrent sur les bâtisses qui s'étaient écroulées sous l'assaut des eaux. Tout ici sentait la mort et la mer. Fronçant les sourcils, le bâtard s'approcha d'un cadavre auprès duquel il s'agenouilla pour l'observer. L'homme avait la peau fripée par l'eau et le teint blanc – pourtant, son corps était encore chaud ; cela faisait peu de temps que la mort était venue le saisir.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? demanda l'un des hommes d'Isendre.
Il se releva et le regarda sans répondre. Il n'en avait aucune idée. Dans le sable derrière lui, il entendit des bruits et se retourna. Un insulaire tentait de bouger, mais il semblait bien faible. Aussitôt, le fils du griffon s'approcha de lui à vive allure, le saisissant au col et recevant une gerbe d'eau sur le torse tandis que le rescapé toussait. Le vatner respira dans un gargouillis immonde avant de supplier qu'on l'aide.
— Qu'est-ce qui est arrivé ? cracha Isendre.
L'autre ne répondit pas, émettant toujours ses râles dans de pitoyables tentatives d'inspiration. Isendre le secoua un peu, répétant sa question.
— Le monstre, s'étrangla le vatner. Il a envoyé l'océan, il nous a envoyé Skorvind et il a avalé la terre.
Le bâtard le relâcha aussitôt, ses sourcils froncés. Il se détourna de l'insulaire tandis que celui-ci se remettait à tousser, crachant de l'eau à chaque expectoration. Les yeux du blond observèrent chaque cadavre avant de se reposer sur ses hommes.
— Ils ont tous été noyés par une créature.
— Celle d'hier ?, demanda un marin.
— Sans doute...
— Et si il revenait ?
Le regard d'Isendre s'assombrit, soudain empli de doutes. La bête ne les avait pas attaqués, pour une raison mystérieuse. Mais si elle s'en était pris aux vatners, alors elle avait très bien pu avaler Alyssa – et rien ne pouvait l'empêcher de revenir sur les îles. Il se releva, craignant pour la vie de sa sœur.
— Il faut retrouver Alyssa.
— Où voulez-vous la chercher ? le questionna un homme. Elle est sans doute déjà morte.
— Je ne vous permets pas de dire ça !, cracha le bâtard.
Il ne pouvait y croire. Alyssa ne pouvait être morte. Ses poings se serrèrent et il releva la tête vers les terres, plus loin. Derrière les murs détruits de Haute-Pierre, une forêt avait résisté à l'attaque de la mer. Isendre fit un signe de tête dans sa direction.
— Alyssa se trouve peut-être plus loin dans les terres. Peut-être qu'elle a pu s'enfuir...
— J'suis navré m'sire, mais j'vous suivrai pas là-bas.
Isendre tourna un regard furieux vers l'homme qui avait parlé, son visage se déformant sous la colère. Il fit un pas vers lui, les poings serrés, mais un autre homme l'arrêta.
— Il a raison, Isendre, vous d'vez vous rendre à l'évidence. C'est trop dangereux de rester ici.
— Et où voulez-vous qu'on aille, alors ? aboya le bâtard.
— A Talen, aider vos sympathisants à récupérer les terres de votre père.
Le blond sentit son cœur se serrer – il aurait vendu Talen à Mageia si cela lui avait permis de récupérer Alyssa, de la retrouver et de la prendre dans ses bras. Il hurla, de rage et de détresse, saisissant celui qui l'avait arrêté au col. Mais un autre homme arriva derrière lui, le tirant en arrière et l'envoyant dans le sable. Son corps s'écroula sur la plage, soulevant un nuage de sable tandis qu'il toussotait, saisissant fermement son épée pour se défendre.
— Soit vous venez m'sire, soit on part sans vous.
Une violente nausée le saisit, de dégoût. Il les haïssait, tous ces faibles qui se dressaient maintenant entre sa sœur et lui, bâtissant un mur de peur face à la possibilité de la retrouver. Ils craignaient ce monde déjà devenu fou, les horreurs que déversaient les Sides sur eux – mais Isendre ne craignait qu'une chose, que sa sœur se sente abandonnée. Il ne pouvait la laisser penser cela, il devait la retrouver. Ses yeux furieux affrontèrent l'équipage terrorisé qui lui tenait tête.
— Synsivik !, appela-t-il alors. Où est Synsivik ? Il voit la vérité. Je veux la connaître !
— Il est resté dans sa cabine toute la nuit, vous parlerez avec lui sur le navire.
La voix du marin avait tonné comme l'orage – ce n'était pas une proposition mais un ordre. Ils s'étaient rendus sur les îles pour n'y trouver que désolation, et espéraient pouvoir s'en tirer mieux que les vatners. Et ne restait que le bâtard, qui ne voulait que sa sœur, qui était prêt à braver tous les dangers du monde pour elle.
On le saisit par le bras, on le tira de force et on le mena au navire, ignorant ses protestations. Il fut enfermé dans la cabine, où se trouvaient Synsivik et Daena. Tous deux semblaient troublés, soucieux de choses mystérieuses. Le bâtard s'approcha aussitôt de la noble, saisit ses mains tremblantes pour la regarder dans les yeux.
— Tout va bien, ma dame ?
— Oui, affirma-t-elle avec un maigre sourire. La nuit dernière fut simplement agitée...
Il osa approcher une main de son visage pour caresser les mèches qui coulaient contre ses joues, les écarter pour révéler sa peau rougie par les larmes. Elle avait pleuré. La tempête semblait l'avoir grandement troublée.
— Je dois discuter avec Synsivik, pourriez-vous nous laisser seul quelques minutes ? Ensuite, nous parlerons autant que vous le voudrez et je ne vous abandonnerai plus, lady Ephial.
A nouveau, elle sourit faiblement avant de se lever et s'éloigner, laissant les deux hommes ensemble. Isendre s'assit à côté de l'Élu, plongeant son regard redevenu froid dans le sien.
— Qu'y a-t-il ? demanda Synsivik.
— Je veux que tu me montres des choses.
— Quelles choses ?
Le Fils de Lux arqua un sourcil désabusé, fixant le bâtard de son air suffisant. Il exaspérait profondément le fils du griffon, pourtant, celui-ci ne pouvait se séparer des étranges pouvoirs dont le religieux semblait disposer. Il leva le menton à son tour pour affronter son regard arrogant.
— Je veux savoir où est Alyssa. Comment elle va.
Synsivik fronça les sourcils, et un semblant de sourire tordit ses lèvres.
— Alors je te demanderai quelque chose en échange, Isendre.
— Quoi donc ?
— Je veux que tu m'aides à retrouver le trône qui me revient.
La mine du bâtard s'assombrit dans une expression incertaine – qu'entendait-il par là ? Qu'il soit le fils élu de Lux, Isendre voulait bien le croire – mais d'où lui venait cette histoire de trône ? Sans qu'il n'ai pu lui poser de question supplémentaire, la main de Synsivik vint se presser contre son front, plongeant Isendre dans le monde de Lux.
Un éclair blanc sembla passer devant ses yeux avant qu'il ne s'affaisse sous la main emplie de magie du religieux.
[...]
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasyLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...