Chapitre 28.1, Les cadeaux des Seascannes

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FEURAN


Lys l'avait rejoint à l'aube, sous la pudeur des soleils levants. Elle n'était vêtue que de sa chemise de lin fine et s'était blottie dans ses bras pour le reste de cette dernière nuit qu'ils partageaient. L'un comme l'autre savaient qu'ils n'auraient pas du faire ça, pas ici. Les yeux se perdaient et Feuran comme sa soeur n'étaient les bienvenues que dans une lettre qu'ils n'avaient pas même lu. Ici, elle était noble et lui pouilleux, malgré son statut d'ambassadeur et sa rencontre avec le futur roi.

Ils parlèrent, riant de leur journée, spéculant sur les agissements de la dame aux vautours. Elle raconta sa promenade avec Virtus dans les jardins après que Lord Acero lui ait présenté ces appartements. Le maitre des lois était un politicien, capable de retourner sa veste et de suivre le sens du vent pour être certain d'avoir une place au sommet. Elle ne l'aimait pas mais s'amusait de le voir sensible à ses charmes.

Puis ils oublièrent les nobles alors que leurs lèvres se retrouvaient et que, dans les bras l'un de l'autre, ils se perdaient. Leurs ébats furent silencieux, si doux face à leur habitude. Emprunt d'une tendresse qu'ils n'avaient plus mise depuis des années dans leurs caresses. La peur suintait de leur corps, parlant à la place de leur visage et de leurs lèvres. Ils savaient que, bientôt, la reine ferait du griffon son consort. Et qu'alors, ils ne seraient plus que de misérables pions et les preuves unique d'un affront qu'ils n'auraient jamais pu éviter.

Alors ils s'aimaient pour se dire au revoir. Aussi incapables qu'ils avaient toujours été pour parler lorsque les mots se faisaient acides dans leurs bouches. Leurs corps confiaient des pensées, dictaient des actions.

Puis les soleils les tirèrent de leur bulles hors du monde. D'un dernier regard, ils se jurèrent présence et puissance. Puis Lys le quitta, retournant au appartement et aux domestiques qu'on lui avait confié. Elle embrasse ses lèvres dans un dernier souffle, accrochant à son visage son sourire enjôleur.

Feuran s'habilla seul cette fois. Il tronqua les trop riches vêtements de la vieille pour d'autre, bien plus protocolaires. Le pendu, blason de son père, était brodé sur la poitrine et il préféra la praticité à l'ostentation. A l'exception d'une chevalière frappé du pendu, il ne portait pas d'autres bijoux. Sa soeur offrirait l'argent quand lui serait le garant des belles volontés de son géniteur. C'était de toute manière les seules choses qu'on attendait de lui.

Son petit déjeuné fut frugale tant le stress lui broyait les tripes. Il allait voir, pour la première fois, cette reine Elue dont tous avait tant parlé. Celle pour qui la couronne s'était couverte de sang et celle qui avait renversé un empire en une nuit. Sibille l'effrayait et on la disait capable de tout. Comme Eiti, Sibille laissait naître mille légendes sur son passage.

Pour l'heure, Feuran ne voulait en croire aucune et pourtant, il devait bien se rendre à l'évidence. Certaine étaient réelles. Elle était Elue de Mageia, envoyée par la Rouge pour reprendre à ces soeurs un pouvoir dont elle avait, depuis trop longtemps, été éloigné. Les jeux des Sides n'intéressaient que très peu l'ambassadeur. Lui voulait seulement cette paix qu'on avait promis à son père en échange d'un genou plié. Puis que les Seascannes retrouvent leur liberté, avec à leur côté des créatures pour lutter contre les dragons que rapportaient sa tante.

Il soupira, attrapa un morceau de pain et s'échappa dans les jardins. De nombreuses jeunes filles s'y promenaient déjà mais Feuran n'avait l'esprit charmeur. Il les salua, évita scrupuleusement une robe bleue qu'il ne reconnu que trop bien et laissa le temps filer, jusqu'à ce qu'un page vienne le trouver pour l'informer de l'heure. Son ventre se noua, ses tripes se serrèrent.

Et il emboita le pas du jeune homme.

Ils ne marchèrent pas longtemps. La salle à manger était plus petite que celle des banquets et légèrement à l'écart, là où les courtisans n'auraient pas l'outrecuidance de se rendre. Partager le repas de la Reine était une honneur que Feuran ne parvenait pas vraiment à considérer comme tel. Il se concentrait bien plus pour tenter de calmer sa respiration, pour garder un visage de marbre et un sourire affable qui ne lui allait que trop bien. Glissant sur son faciès une seconde peau menteuse, il entra.

Le page s'effaça presque immédiatement.

Lys était déjà là, assise en face de Virtus. Il lui racontait une histoire qui amusait grandement la seascannienne. Une grand sourire sublimait son visage. Lys avait rarement été aussi belle, légèrement maquillée dans sa robe orangée au corset tout de perles et de bordures d'or. Le soleil de sa pseudo famille s'étalait sous sa poitrine, ourlé de fleurs compliquées. Elle resplendissait, peut-être même un peu trop.

Feuran n'eut pas le temps de s'abandonner à la contemplation de sa soeur alors qu'un domestique lui indiquait sa chaise. Virtus ne lui offrit pas un seul regard, obnubilé par Lys et sa poitrine mise en avant par le tissu trop serré de son corsage. Il ne s'en formalisa pas.

La salle à manger était immense. Aux murs avaient été accrochés des tableaux présentant des scènes de chasses et d'immenses paysages que Feuran identifia comme ceux des Carmines. Le sol y était dur, les arbres brûlés par les flammes. Il devait faire très chaud dans les nids des Asinis. La peinture d'un énorme sangérav présidait la pièce, s'étalant sur toute la longueur d'un mur.

Feuran se releva brusquement, alors qu'entrait Sybille et derrière elle, Alessandre. Le futur roi salua d'un bref signe de la tête l'ambassadeur et la reine lui offrit un doux sourire. Le seascanien inspira avant de s'incliner, suivit de sa soeur qui se tendit d'une révérence parfaite.

Puis ils s'assirent, sur un hochement de tête de la reine. Elle ordonna aux domestiques de servir le vin et, enfin, Virtus s'éloigna du décolleté de Lys. Sous la table, les doigts de Feuran se seraient, non de rage mais d'inquiétude face au sourire doucereux de Sibille.

— Messire... Excusez-moi, quel est votre nom ? demanda-t-elle d'un ton doucereux. Pardonnez-moi pour cet affront, j'ai été fort surprise d'apprendre que notre cher allié, le grand Scriosta Coróin, ne se déplaçait pas en personne. Mais je suis curieuse de vous découvrir, vous, ainsi que lady Grian. Il est rare de voir des natifs des Seascannes ailleurs que dans leurs marécages.

Lys inclina le visage, les lèvres ourlés d'un sourire qui, pour une fois, ne charmait pas. Elle se contentait d'être présente et d'offrir un soutient noble aux mots de son demi-frère.

— Mon père faisait face à quelque... problèmes avec des bannis de notre région, déclara Feuran. Il s'excuse d'ailleurs platement de son absence. Je me nomme Feuran et, tant que Sa Majesté le jugera bon, je resterais sans nom de famille. Seulement fils du seigneur des Seascannes.

Son père se serait étouffés en l'entendant s'exprimer de la sorte, lui qui ne désirait ni nom ni titre qu'il n'avait gagné dans le sang et les larmes. Feuran n'était aussi idiot que son paternel. Il savait, parfaitement, qu'à la cour, les seigneurs s'ornaient de blasons et de nom pour que tous puissent les reconnaitre. Un jour, Eiti mourrait. Et il ne laisserait derrière lui que des bâtards se déchirant son empire comme l'auraient fait les chiens d'un os.

— J'ai hâte que vous me parliez un peu de votre région. En tant que Reine, je me dois de connaître tant mes sujets que mes terres, n'est-ce-pas ?
— Tout à fait votre Majesté. C'est également pour cela que nous avons été envoyé avec Lady Grian. Nous vous avons d'ailleurs apporté certain présents qui vous ferons découvrir notre région.

Il tapa alors dans ses mains, appelant certains serviteurs préalablement prévenus. Les bijoux n'étaient, pour Feuran, qu'une petite courbette supplémentaire. Le véritable présent étant le jeune lins, au bois encore si petit et aux yeux dorés brûlants d'inquiétude. Capturé jeune, il n'avait jamais connu la sauvagerie et en devenait bien plus malléable que ses frères.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant