QEDER
Il s'était levé de sa chaise en tremblant. La scène à laquelle il avait assisté quelques jours plus tôt l'avait horrifié, il se rappelait des cris des hommes qui avaient préféré Sibille à son père, du sang maculant le sable, de l'odeur de la mort – et lui était resté immobile, les yeux écarquillés et la bouche sèche. Il avait ensuite subi les remontrances de son père, ses reproches quant à ce qu'il appelait faiblesse. Qeder, lui, appelait ça justice.
— Qeder.
La voix de Tahir avait résonné sourdement à ses oreilles et il avait tourné la tête vers lui. Il lui ressemblait si peu, avec ses cheveux blond qui blanchissaient avec l'âge, ses yeux de glace, son teint clair – et son caractère, si enflammé, si dur, tandis que lui n'était qu'un gamin perdu. Son père l'appela à nouveau et Qeder sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il planta son regard noir dans le sien, sans parvenir à camoufler sa crainte.
— Qu'est-ce que tu attends ?
Le fils des sables revint sur terre, regarda tous les yeux qui étaient posés sur lui. Hvitur l'observait, les sourcils arqués et une étincelle rieuse dans le regard. Karona paraissait plus soucieuse. Mais Tahir, lui, n'était que rage.
— J'y vais, bégaya-t-il.
Il échappa à tous ces regards en se détournant, filant vers la porte, sa main serrant le pommeau de son épée. Il n'avait jamais été un homme des plus courageux, et le souvenir de la prise du palais de Talumen restait gravé en sa mémoire – il se souvenait des hurlements, du sang, des prières, des tortures. Il se rappelait le cri des armes et l'odeur des morts qui avait envahie le château. L'idée d'être à nouveau confronté à toute cette horreur, à la brutalité des hommes de la Rouge, à leur fanatisme effarant, le tétanisait. Mais il devait obéir.
Lorsque Tahir Asinis ordonnait, il n'était pas question de se rebeller. Il était simplement question de se soumettre.Alors qu'il passait la porte, il entendit le sifflement réprobateur de son père. Il y entendit sa déception, ses questionnements profonds – comment lui, le grand Tahir, le fort, le puissant, avait-il pu engendrer fils si faible ?
Qeder déglutit en quittant le fort, s'approchant des tentes où les hommes des Ramales, de toutes maisons confondues, se reposaient quelques minutes plus tôt. Ils étaient désormais alertes, passant déjà leurs armures, saisissant leurs armes et accrochant aux traits de leurs visages la hargne d'un soldat. Il héla quelques hommes déjà prêts, en réunissant une petite vingtaine. Ils harnachèrent des chevaux et se mirent aussitôt en selle.
Ils attaquèrent la dune, la faisant franchir au trot par leurs chevaux des sables. Puis arrivés en haut de la bute, ils virent la troupe au loin – tout aussi nombreux qu'eux, ils semblaient guidés par trois personnes qui avançaient en tête. Qeder fit signe à sa troupe.
— Préparez-vous à les encercler, ordonna-t-il.
Gardant le trot, il conduisit son bataillon vers les intrus et s'arrêta à quelques mètres d'eux, les observant d'un œil qui se voulait sévère.
— Qui êtes-vous et que venez-vous faire à Aurovao ?
Ses yeux n'étaient que méfiance et il faisait de son mieux pour ne pas se laisser trahir par sa voix. L'appréhension le rongeait, attaquait ses entrailles d'une douleur lancinante, mais il refusait de faiblir. Son cœur battait follement, son estomac se laissait broyer par les mains crochues de l'effroi, mais Qeder refusait de se laisser aller à la peur. Seul comptait en cet instant le devoir, et il ne devait y manquer. Son regard s'était embrasé sous la colère que lui insufflait son père, ou peut-être sous l'injustice du monde et de la guerre. Peu importait. Seule importait la sécurité des siens.
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Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)
FantasyLa chute des tigres Iseal a entraîné une crise politique majeure en Nokrov, offrant la couronne aux traîtres de la maison Asinis. Sibille, devenue Reine, dévoile enfin ses plans aux yeux du monde : elle œuvre pour le retour de Mageia, ne réclamant q...