Chapitre 15.1, Suis ton père, fils

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EITI


Le retour de la Carmine ne se fit pas attendre. Sa lettre arriva en pleine journée et fut immédiatement apportée au baron. Le mépris, la colère, la hargne qu'il lisait à travers chaque mots le firent sourire. Sibille était entrée dans son jeu comme une enfant, prouvant là une fois de plus qu'elle n'avait pas encore les épaules pour régner sur un continent aussi vaste que Nokrov. Elle maniait bien la plume, offraient des menaces sans pour autant les énoncer véritablement. Mais elle n'était qu'un petit pion sur l'échiquier des dieux que jamais Eiti ne laisseraient le contrôler. Qu'elle pense la magie de sa déesse rouge supérieure à tout ce qui faisait les Seascannes. Jamais elle n'avait posé le plus petit orteil dans sa région maudite. Elle n'en serait pas sortie vivante.

-Faites venir Feuran. Je dois lui parler.

Le domestique s'inclina bien bas devant les mots du baron et disparu, le laissant seul. Eiti, jeta la missive de Sibille dans les flammes, regardant le papier être dévoré par l'appétit vorace du feu. Voilà où cette catin l'envoyait de ces mots. Si Nevenoe revenait avec ces dragons comme l'avait annoncé la vieille qu'il avait passé au fil de son épée, il ne donnait pas cher de sa vie.
Les poings serrés, Eiti se rendit compte qu'il n'avait plus le choix. Il devait accepter les exigences de la Carmine, s'incliner lui qui ne l'avait jamais fait. De rage, il en envoya voler la table déposée contre le mur. Il détestait se sentir aussi impuissant. Lorsque les Iseal étaient encore au pouvoir, il pouvait se permettre d'être un monstre, il se fichait de leur réprimande, certain que jamais l'armée ne viendrait s'engouffrer dans les marécages. Avec Sibille et ces saloperies de créatures volantes, rien n'était moins sûr. Elle semblait capable de se battre sur tous les fronts à la fois, de mener milles guerres en une seule. Et lui en frémissait de haine. Il aurait dû faire tuer cette putain quand elle n'était encore qu'une morveuse promise par les sorcières. Les Carmines l'avaient trop bien protégée, couvée avec application, comme leur dragons maudits et leurs œufs. Et il n'avait jamais pu foutre le moindre orteil dans leur région dévastée. N'avait jamais pu envoyé un espion ou attraper le moindre seigneur. Et il en hurla un peu plus de rage.

De petits coups contre la porte ne parvienrent pas à calmer le baron et il l'ouvrit à la voler pour croiser le regard de son fils. Le second né souleva un sourcil interrogatif sans pour autant se départir de son air agacé. Feuran était le plus intelligent de ces quatre -désormais trois- fils. S'il n'était pas son préféré, il n'en était pas moins parfait pour lui rôle qui lui incombait maintenant. Eiti détailla ses cheveux roux qu'il lui avait légué et ses yeux marrons que le baron se persuadait venir de sa mère alors qu'il reconnaissait trop bien la flamme brillant en leur sein. Feuran ressemblait à sa tante, un peu trop au goût d'Eiti. Mais il n'en serait que plus parfait pour le rôle qui lui incomberait.

La colère déserta les traits du dirigeant des Seascannes. De sa mère, le fils du feu avait obtenu des pouvoirs liés à l'eau glacée, à la tempête hurlant dans chaque coeur et il avait apprit auprès des meilleurs pour transformer cette magie en quelque chose de bien plus grandiose. Que Sibille continue à rire des marécages. Si Mageia l'avait déclarée Elue, voilà bien longtemps que les seascanniens n'avaient plus besoin des dieux pour maîtriser les courants de mana qui parcourraient Nokrov.

D'un main, Eiti ordonna à son fils de s'asseoir et il s'installa en face de lui. Feuran avait le regard vif et il s'intéressa trop vite au papier qui termina sa combustion dans la cheminée. Ces lèvres s'étirèrent sur un sourire. S'il n'avait jamais brillé en combat, il était de ces quatre frères le plus doué en intrigue. Le choix d'Eiti avait été plus que rapide pour savoir quel pseudo ambassadeur envoyer à la cour de la Carmine.

-Je pense que tu as compris la raison de ta présence ici ? demanda-t-il, les yeux visés dans ceux de son fils.
-La nouvelle reine veut que tu plies le genou ? Et que tu lui offres les Seascannes sur un plateau d'argent ?
-Elle veut que je lui lèche la chatte et tu sais comme moi que je ne le ferais qu'au sens propre. Je t'envoie à la cour Feuran. L'occasion de prouver que tous tes talents jusqu'ici inutiles servent finalement à quelque chose.
-Tu sais parfaitement qu'elle le prendra mal et qu'elle me fera tuer au moment même où je poserais un pied là bas ?
-Mieux vaut toi que moi n'est-ce ?

Le sourire sur les lèvres d'Eiti fit frisonner son fils. Aucun des enfants du Baron n'avaient jamais servit qu'aux dessins de leur géniteur et cela ne saurait changer avec longtemps. Il avait besoin de pion et s'était offert des fils sur lesquels il avait plein contrôle plutôt que des esclaves aux ambitions changeantes.

-Je ne souhaite pas que tu meurs Feuran. Tu es suffisamment débrouillard pour te faire une place de choix auprès de Sibille et de ces sbires. Infiltre toi, fait de beaux sourires, des belles promesses et ta gueule d'ange fera le reste. Méfie toi tout de même de la Reine. Ton orgueil pourrait être ta perte à la cour. Et essaye d'en savoir plus sur son griffon de compagnie. Est-ce qu'il lui est vraiment fidèle où est-ce qu'il ne fait qu'obéir à des ordres magiques. S'il ne l'est pas.... tu sais ce qu'il te restera à faire.

Feuran poussa un profond soupire avant de se relever. Tournant le dos à son père, il se rapprocha de la fenêtre. Les festivités avaient cessé, ne laissant derrière elles que des visages tristes et des mines maussades.

-Pourquoi essayer de voir plus grand ? Tu n'as pas assez à faire ici avec les magiciens ?
-Les magiciens ne me protégeront pas des dragons. Je ne sais pas qui de toi ou nous mourra le premier mais il est possible que nous ne nous revoyions jamais après ton départ. Prends ta demie-soeur avec toi. Ces pouvoirs pourraient-être utiles et elle se plairait à milieu des fausses princesses.
- Lys n'est qu'à moitié noble. Je ne suis pas certain qu'elle sera...
- Elle est noble par le caractère. Vous n'avez qu'à lui inventer un nom de famille à la con et les portes s'ouvriront pour vous.

Feuran accrocha une moue dubitative à ses lèvres, qu'Eiti accompagna d'un soupire. Il se leva à son tour, rejoignant son fils. Au loin, très loin, se réveillaient les dragons. La vieille n'était certainement pas folle et Nevenoe avait toujours trouvé les meilleures solutions pour faire de la vie de son aîné un enfer. Il la haïssait, comme leur père, comme leur mère. Son sang était souillé, son âme abîmée. Elle n'aurait jamais dû sortir des cages où ils l'enfermaient.

-Ne craint pas la mort une fois que tu seras là bas. Embrasse leur religion, épouse leur Side et je ne sais quelle catin Sibille voudra mettre dans ton lit. Soit complaisance et doux sourire devant. Mais ne la laisse jamais te toucher. Je ne veux pas qu'elle face de toi un esclave de plus. Ta soeur saura te garder les pieds sur terre et que votre lien bidon vous serve au moins une fois dans votre vie autrement que pour pondre des batards dégénérés.

Un rire trancha les lèvres de Feuran alors qu'il se retournait vers son père. Ses yeux répondaient pour lui. Il se rendrait à cette cour dont il n'avait entendu que des horreurs. Et il s'y offrirait une place plus grande encore que celle de son père. Lui ne serait pas le Tranche Couronne. Lui serait la couronne dans l'ombre de la Reine.


[...]

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant