Chapitre XXV : Distance

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Arlette restait éreintée par ses journées. Cela faisait une semaine qu'elle était ignorée par ses amis au lycée, une semaine qu'elle sentait que tout le monde, autour d'elle, se comportait de plus en plus étrangement. 

Son secret, contrairement à ses inquiétudes, ne s'était pas répandu plus, mais elle savait que son cercle d'amis proche était au courant. 

Non, c'était totalement inexpliqué. Il y avait donc son groupe, qui ne lui adressait plus la parole, puis Cassandre, qui, elle le sentait, devenait de plus en plus pressante. Ces derniers jours, elle semblait toujours vouloir savoir où était la jeune fille, toujours connaître ses états d'esprit. Arlette était consciente qu'elle ne faisait cela que pour aider son amie qui déclinait lentement, mais elle ne pouvait s'empêcher d'être mal à l'aise face à ce comportement qui, s'il avait toujours été là, semblait désormais s'intensifier. 

Mais cela n'était pas ce qui la touchait le plus. Non, c'était Joseph qui, depuis quelques temps, devenait distant envers elle. Depuis la répétition où ils s'étaient retrouvés seuls, et où ils avaient  été...

Proches. Trop proches. Elle se maudissait pour cela. Elle ne pensait absolument pas à mal en  s'approchant de lui sans réfléchir, simplement inquiète pour lui.

Elle avait dû faire quelque chose de très déplacé, car depuis, il semblait éviter son regard et ne lui souriait plus comme avant. Il se contentait d'engager avec elle des conversations strictement professionnelles, avec un air guindé qu'elle ne lui connaissait pas.

La jeune fille ne se doutait pas que tandis que sa douleur et son incompréhension allaient crescendo,  Joseph devenait de concert plus malheureux et froid.

Oui, Joseph n'arrivait pas à se rendre compte que cette frêle jeune fille avait stimulé chez lui bien d'autres choses que des sentiments amoureux interdits. Un nouvel élan dans sa musique, un horizon qui s'ouvrait désormais à lui, une créativité et une sensibilité décuplées. 

Et à mesure que l'un et l'autre se refermaient sur eux-même, ils ne faisaient que s'enfoncer dans une distance qui ferait leur malheur.

Mais aujourd'hui, Joseph, loin de se douter de l'incidence de son attitude sur l'état d'esprit d'Arlette, était agacé, et au bout du rouleau. 

Cela lui arrivait rarement, mais lui, le maestro stoïque et fort, avait sincèrement envie de pleurer. Pourquoi ? Il n'en savait rien, mais se doutait que la froideur qu'il s'imposait en compagnie d'une certaine jeune musicienne et l'effet, bien réel et allant à l'évidence plus loin qu'une simple attirance, n'y étaient pas étrangers.

Arlette, elle, souffrait silencieusement, s'éloignant seule au milieu d'un rideau de pluie, silhouette sombre, frêle et trempée dans une étendue grise. 

Elle marchait vite, tentant sans succès de s'abriter le visage de ses mains, l'ondée faisant dégouliner d'eau son épaisse chevelure sombre. Une douleur contenue et palpable se lisait sur son visage.

Elle aurait tout donné pour éviter cette répétition. Alison ne serait pas là. De toute façon, les regards étonnés qu'elle jetait aux deux musiciens depuis une semaine devant leur attitude l'un envers l'autre, qui semblait être auparavant constituée d'une mutuelle estime et d'une grande cordialité, et qui avait opéré un brusque et glacial virage à cent-quatre-vingt degrés, avait le don de l'agacer.

Mais plus que l'indiscrétion de la pianiste, elle craignait l'attitude distante et effacée du violoncelliste. Parce qu'elle s'était rendue compte que ce comportement était exclusivement dirigé vers elle. S'il semblait plus pensif et renfermé que d'ordinaire envers les autres, elle seule semblait avoir droit à cette conduite.

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