Chapitre LII : Lumière

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Les paupières d'Arlette papillonnèrent quelques instants, puis elle ouvrit les yeux. De la lumière entrait par la fenêtre, illuminant sa chambre.

La jeune fille se redressa, tout son corps lui faisant mal. Elle ne savait pas bien pourquoi, d'ailleurs. Les quelques jours passés au service psychiatrique de l'hôpital n'avaient pas étés très physiques, bien qu'épuisantes. Rentrée chez elle la veille, elle repassait sa première nuit dans son lit depuis...

... Depuis sa tentative avortée de se jeter du haut d'un immeuble.  

Ses souvenirs affluèrent à nouveaux, et ses yeux s'embuèrent. Mais tout était fini. 

Face au vide, elle avait senti l'attirance irrésistible du ciel. La folie qui s'était emparée d'elle après qu'elle ait été poussée dans ses derniers retranchements, l'avait poussé à tenter de commettre l'irréparable.

Mais Joseph, sortant de nulle part, l'avait sauvée. 

Arlette se leva avec lenteur. Elle ne savait plus vraiment, au fond, la part des choses qui relevait du rêve et du cauchemar et celle de la réalité. Tout s'emmêlait, le contour flou de ses faits et gestes se fondant dans le vide qu'elle ressentait. 

Peut-être qu'elle avait rêvé l'intervention de Joseph, au fond. Elle n'en savait rien : elle n'avait pas revu son sauveur, et depuis qu'elle s'était réveillée à l'hôpital, aucun de ses proches n'avait mentionné les événements de ce soir-là ; elle-même s'en souvenait à peine. Son esprit malade, brisé et délirant avait aussi bien pu faire intervenir celui qu'elle aimait toujours désespérément dans le chaos de ce jour-là. 

Mais la vérité était qu'il lui manquait, il lui manquait terriblement.

                                                                      °*°*°

Pour Joseph, les jours suivants la tentative de suicide d'Arlette furent un véritable calvaire. 

Les souvenirs de cette terrible soirée le hantait. L'arrivée des secours, sa descente jusqu'au parvis de S.F, le corps évanoui d'Arlette dans les bras, puis l'hôpital. Il était resté un long moment seul à attendre, fou d'inquiétude, dans une salle d'attente, avant qu'Auguste ne vienne le prévenir qu'Arlette ne craignait rien, qu'elle était inconsciente mais qu'elle allait bien, qu'elle allait rester à l'hopital.

Le regard plein de reconnaissance du pauvre homme le mit profondément mal-à-l'aise : pour lui, il était le sauveur de sa fille adolescente, celui qui l'avait empêché de se jeter de quatre étages.

Mais il n'était que l'homme de trente-cinq ans son aîné qui était tombé amoureux d'elle, et qui, en n'ayant tour-à-tour pas posé de limites, puis ayant été d'un aveuglement impardonnable en ne remarquant ni n'empêchant la situation, était le responsable de tout ce qui était arrivé.

Après qu'Auguste Flavigny l'ai salué, il était parti, comprenant qu'il n'en apprendrais pas plus sur la situation, et qu'il n'avait aucune chance de pouvoir voir Arlette.

N'étant pas en état de travailler, il avait annulé tout son agenda, composé fort heureusement en majeur partie de cours et de petites répétitions, avant de s'enfermer chez lui pour ruminer encore et encore les événements. 

Il brûlait de voir Arlette. Le souvenir de son visage le faisait trembler,  et ne quittait plus son esprit. Mais aller la voir... c'était ridicule, il devait être la dernière personne au monde qu'elle avait envie de voir débarquer. Il ne pouvait que l'enfoncer par sa présence. 

Quelques jour passèrent, quelques nuits agitées où il se réveillait toujours en sursaut, en sueur et au bord de l'arrêt cardiaque. Un cauchemar, toujours le même : il se précipitait pour rattraper Arlette qui se jettait dans le vide, mais sa main ne faisait qu'effleurer son poignet, et, tandis qu'il hurlait son prénom, elle sombrait dans le vide en fixant sur lui son regard horrifié. Parfois, il se réveillait à ce moment-là. Parfois, il pouvait apercevoir en contrebas le corps désarticulé de la jeune fille, gisant sur l'asphalte dans une mare de sang.

Un matin, après une nuit particulièrement difficile, il décida de sortir et de fuir ses songes macabres, ces longues journées passées enfermé à mâcher et remâcher ses problèmes n'ayant pas résolu grand-chose.

Ses pas le menèrent vers S.F, les souvenirs du soir où Arlette avait tenté de sauter tournoyant dans son esprit. 

Après quelques minutes à fixer tristement le ciel et l'endroit d'où Arlette avait voulu se jeter et où il l'avait arrachée in extremis à la chute, il se souvint de son violoncelle, un Stradivarius de 1712 qu'il avait laissé dans les locaux. Il n'avait d'ailleurs pas touché à un instrument depuis ce soir funeste.
Il entra, saluant dans la foule des connaissances, mais ne s'arrêtant à aucun moment pour engager une conversation. Il ressemblait à une ombre. 

Après avoir fait un saut dans son bureau, il rejoignit le couloir et, à sa plus grande surprise, tomba nez-à-nez avec un visage relativement connu : une jeune fille brune, la peau mate, très grande, qui semblait avoir quelque chose à lui dire.

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