Chapitre IX : Ocre

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Joseph soupira.

Il avait beau être quelqu'un de minutieux et passionné par ce qu'il faisait, la quantité cataclysmique de travail qui l'attendait encore le sidérait.

Il souffla une bouffée de fumée grise, avant d'en tirer une nouvelle de sa cigarette. Fumer le détendait, c'était le moment de pause qu'il s'octroyait chaque jour entre deux répétitions, deux concerts, deux conférences...

Sa carrière avait était brillante, fulgurante, mais il n'en tirait aucune gloire, n'attribuant tout cela qu'à des suites de rencontres et de chances uniques. Son talent lui était connu, mais son humilité lui faisait garder les pieds sur terre.

Le ciel était gris, empli de nuages lourds de pluie. Depuis combien de temps pleuvait-il ? Il avait perdu le compte. Saleté de climat, qui faisait que tous les jours se ressemblaient.

En contrebas, un groupe de lycéen passa, riant. C'était le début des vacances scolaires, pour eux.

Ses yeux bleus se voilèrent, et il abandonna la cigarette, se promettant d'arrêter quand il aurait le temps, et il rentra.

Sauf que cela faisait maintenant vingt ans qu'il remettait ça. Et il ne le trouvait jamais, le temps.

Le couloir était vide, et il sentit son téléphone portable vibrer dans sa poche. Un message de Samuel, qui lui demandait de le rejoindre dans un de des studios, pour régler quelques détails.

- Lass uns gehen*, la pause est finie... murmura-t-il pour lui-même.

( *Allons-y )

Qu'est-ce-que son ami lui voulait, encore ?

Numéro trois-cent cinquante deux. C'était celui-ci. A l'intérieur, il entendait des voix discuter d'un sujet qu'il ne saisit pas. Il reconnut l'intonation de son ami et vieux camarade de conservatoire, d'un femme, et une voix plus douce, plus juvénile, aux intonations marquées. Joseph ouvrit la porte, lentement. Samuel Valdor était appuyé sur le piano à queue, plongé dans sa discussion avec une professeure de chant qu'il avait déjà rencontrée naguère.

A son entrée dans la pièce, ils se turent net et se tournèrent vers lui, tandis qu'il s'avançait vers eux, adressant un signe de tête à la chanteuse, avant de se tourner vers son collègue.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-il, lui adressant un regard interrogateur.

- Ah ! Joseph, tu es là ! s'exclama le chef, se redressant avec un sourire jovial. Bon, je suis navré de te déranger, je sais que tu as déjà beaucoup à faire entre la master-class et la préparation du concert, mais j'avais un service à te demander: tiens, venons-en à la master-class, justement. C'est une de mes élèves. Cette jeune fille est extrêmement motivée est talentueuse - il fit un bref signe de tête adressé à quelqu'un derrière lui - J'aimerais qu'elle y assiste, ça pourrait être très intéressant pour elle. Je sais qu'elle est trop jeune pour y être inscrite, mais elle ne prendra pas de place et pourra te servir d'assistante...

Il se tourna. Il n'avait pas vu, de l'autre côté, la troisième personne qui se trouvait là, la propriétaire, sans aucun doute, de la voix plus jeune qu'il avait entendue quelques instants plus tôt.

Elle était petite, assez menue, et très jeune, peut-être entre quinze et vingt ans. Son visage, d' une certaine rondeur conservée de l'enfance, était encadré d'épais cheveux sombres d'une flamboyante teinte auburn. Elle portait une longue jupe en tartan brun, à bretelles, avec une chemise blanche et une veste en velours ocre, soulignant la teinte rose de ses joues.

Rien que l'originalité de sa tenue n'était pas commune, mais ce qui le surpris le plus était la teinte peu ordinaire de ses yeux, qu'elle levait grands ouverts vers lui: un brun très intense, si intense qu'à la lumière, ils paraissaient avoir une couleur presque rouge cerise. Elle plissa son nez parsemé de quelques éparses tâches de rousseur, l'air un peu mal-à-l'aise.

- Arlette, je te présente Joseph. C'est lui qui va prendre en charge cette master-class.

Arlette. Quel prénom original, se dit-il, pensif. Il lui semblait que son visage lui était familier, mais il n'arrivait pas à remettre la main dessus.

- C'est... un honneur de faire votre connaissance, fit-elle, la voix douce et légèrement tremblante.

Il sourit avec chaleur devant son manque d'assurance et ses yeux clairs se rivèrent à son visage.

- De même.

Elle paraissait agitée, mais il ne releva pas plus.

- Ça ne te dérangerais pas, qu'elle y assiste ? - A ces mots, la jeune fille rougit d'embarras - Elle est très enthousiaste et mature. Je sais que...

- C'est bon, c'est bon, cela ne me dérange absolument pas, dit-il posément, jetant un coup d'oeil vers l'élève de Valdor, qui regardait ses pieds. Ce serait, reprit-il, même un plaisir.

Elle releva les yeux vers lui, surprise. Il lui adressa un sourire qui se voulait rassurant, ému par la timidité qui se dégageait d'elle. En tout cas, si un des chefs et pédagogues les plus exigeants qu'il connaissait chantait ses louanges ainsi, elle devait vraiment être douée.

- Parfait, parfait ! Je vais tout arranger, pour qu'elle aie les partitions, je te remercie !

Il hocha la tête, avant de se tourner pour le saluer.

- Merci à toi ! Il tourna la tête vers l'adolescente; A la semaine prochaine, donc, Arlette !

Elle sursauta presque en entendant son prénom dans sa bouche, et un pâle sourire apparut sur ses lèvres, même si elle évita son regard :

- Oui, merci beaucoup !

Elle paraissait assez farouche, et il se promis d'essayer de la mettre en confiance. Après un dernier sourire, il fit volte-face et sortit, sous le regard des trois musiciens.

Tandis qu'il marchait d'un pas rapide dans le couloir, il ne pouvait s'empêcher de réfléchir. Où l'avait-il déjà vue ?

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant