Chapitre XXXII : Chaos

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- Eh, où tu vas comme ça, la p*uffe ?!

Arlette ne se retourna même pas, mais s'arrêta net, ignorant la voix dans sa tête :

Fuis, Arlette, fuis !

- Alors ?!

Andreas. À part des moqueries occasionnelles, elle n'avait jamais eu à endurer ses humeurs changeantes.

Elle avait connu plusieurs camarades qui, les années passées, avaient changé d'établissement après un harcèlement prolongé par ce type et sa bande. Étaient-ils vraiment différents d'Arlette ? Persécutés pour qui ils étaient, sans raison : Jacob, albinos, Maya et Anne, homosexuelles,  Evan, en surpoid, Oreste, trop "intello", Marie, anorexique, mais également une foule d'adolescents lambda, sans histoires, différences ou particularité, qui s'étaient trouvés au mauvais moment sur la route des harceleurs...

Tous, au cour des années passées, s'étaient retrouvés poussés parfois à bout, puis rayés du paysage par la tyrannie d'un groupe d'une petite dizaine d'adolescents entre dix-sept et vingt ans. Personne ne disait rien, car tous avaient trop peur d'être leur prochaine cible.

Et Arlette, la sans-histoire, s'était toujours arrangée pour ne pas s'approcher du cercle où évoluaient ces lycéens qui pouvaient décider du sort de chacun.

Et voilà qu'Andreas, à cinq mètres d'elle, souriait de toutes ses dents, un sourire d'une blancheur inquiétante, bien trop large pour être sincère.

- Alors, Arlette, comment ça va ?

La façon qu'il avait de faire claquer sur sa langue avec une lenteur malsaine chaque syllabe de son prénom, aux antipodes de la prononciation douce et gutturale de Joseph, lui donna la nausée.

Un de ses amis, derrière lui, s'esclaffa :

- Tu m'as l'air fatiguée, Arlette, persifla-t-il.

- Oui, enchaîna Andreas, passant une main dans ses cheveux d'une saisissante teinte aile-de-corbeau, On se demande ce que tu as fais de ta nuit !

Des rires commençaient à s'élever un peu partout, et Allya, une fille de première à côté d'elle, s'avança pour ajouter son grain de sel, échangeant une oeillade entendue avec Andreas :

- Tu fais ce que tu sais faire, pas vrai, Arlette ? Tu étais occupée ?

Arlette se tourna enfin, ne cherchant aucune aide de la part du bloc imperméable d'adolescents autour d'elle. Plus d'espoir de fuite : elle fit face au groupe qui s'avançait vers elle, menaçant.

Allya, Mathéo, Carl, Gaëlle, Debbie, Malik, Lisa, Hector et enfin, Andreas. Une petite bande ultra populaire, composée par des adolescents aux physiques avantageux, admirés par tous, faisant leur loi. Une moitié avait les meilleures notes de leurs classes, et sauvaient constamment l'autre dont les résultats scolaires faisaient concurrence aux températures de l'Antarctique.
Ainsi, ils s'assuraient une protection permanente, étaient vénérés, idéalisés.

Andreas était sans conteste leur chef : insolent, mesquin, considéré comme le plus beau, toujours prêt à en découdre et, il fallait bien le dire, dépourvu de toute intelligence ne visant pas à nuire, il échappait depuis maintenant quelques années à l'expulsion on ne savait comment.

Lisa, sa petite amie, accrochée à son bras, était un peu différente : une invisible parmi les invisibles, jusqu'à ce qu' Andreas la remarque et la hisse à son niveau. Elle portait sur la jeune fille, face à eux, un regard froid et impassible, qui seyait parfaitement à sa beauté saisissante.

Arlette faisait donc face, seule, au groupe entier.

- Je... laissez-moi ! Balbutia-t-elle, se maudissant d'avoir l'autorité d'une moule dessechée.

Ils se mirent à l'encercler, encouragés par la foule de lycéens braillards.

Dans la cohue, Andreas se planta face à elle, ricannant de sa propre méchanceté, et la regarda de toute sa hauteur :

- Réponds-nous, petite c*nne.

- Ouais, on voudrait se payer tes services, lança quelqu'un derrière elle, provoquant l'hilarité générale. Tous la regardaient avec ce même regard méprisant et rejouit.

- C'est faux ! Cria-t-elle, d'un coup, avec rage et désespoir. Elle savait que rien ne pourrait effacer la photographie sur Instagram.

- Ah, mais c'est pourtant pas ce que dit le post que tout le monde ici a vu, chérie, lança Gaëlle à la cantonade. C'est réservé aux vieux ? Tu les préfères, c'est ça ?

- Oui, dis-nous, espèce de p*te, combien il t'a payée ?

- Dis-nous, ça fait quoi d'embrasser un vieux ?!! Attaqua agressivement Andreas, Hector singeant derrière lui le vieillard, se voûtant et faisant mine d'avancer en s'appuyant sur une canne.

Dis-nous, dis-nous.

Les insultes commençaient à s'élever de toutes parts. Abrités par la foule et ne mouvement introduit par les plus populaires, chacun perdait son peu de retenue et de mauvaise conscience pour participer, pierre par pierre, à la lapidation d'Arlette.
Autour d'elle, on s'agitait, on la bousculait, on tentait de la faire sombrer.

Au milieu du chaos général, qui menaçait d'avaler la jeune malheureuse, qui commençait à voir le monde tourner autour d'elle, quelqu'un s'avança à ses côtés.

- Laissez-la tranquille, bande de malades ! Cria une voix pleine de détermination, une voix peut être un peu trop féminine.

Arlette se retourna pour voir qui avait emmergé de la foule pour prendre sa défense face à tout le monde.

Une démarche un peu hachée, une longue silhouette filiforme, et ce style androgyne si particulier.

Charlie.

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant