Chapitre IV : Commencement

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Deux ans plus tôt...

Sur un des balcons vides de l'auditorium numéro 2, deux jeunes adolescents attendaient, accoudés à la balustrade, contemplant la salle bondée en contrebas. Dans la cohue ambiante, l'orchestre de chambre, sur scène, s'accordait, ajoutant leur la tremblant à la cacophonie qui régnait.

- Je t'assure, Arlette, tu ne vas pas regretter d'être venue ! C'est vraiment un des meilleurs violoncellistes au monde !

Timothée avait les yeux qui brillaient d'excitation.

- J'avais très envie de le voir en vrai, répondit son amie en plissant les yeux. Je le connais assez peu, en fait.

Il n'en fallut pas plus à son compagnon pour se lancer sur le sujet de son dernier album, des enregistrements remarquables de pièces méconnues de Beethoven, auquel l'adolescente mêla son avis avec engouement.

Elle avait vraiment aimé cet album, et l'identité musicale de l'interprète l'avait saisie. Quelque chose d'extrêmement réfléchi et délicat, tout en gardant un matière et une puissance hors du commun. En somme, un artiste d'exception.

Soudain, le silence et l'obscurité se firent, et seule la scène resta éclairée.

Le chef monta sur scène, salua le premier violon, puis le célèbre violoncelliste, reconnaissable à son instrument, apparut.

Arlette se rendit immédiatement compte que c'était l'inconnu qui, dans le couloir bondé, s'était arrêté pour l'aider à ramasser ses partitions, quelques jours auparavant. Si elle s'était attardé plus longtemps, elle l'aurait sûrement reconnu immédiatement.

Du balcon, la vue était dégagée, et elle sentit un certaine chaleur lui monter aux joues.

Il faisait soudain très chaud. Elle imputa cela au fait qu'elle se trouvait au dessus d'une salle bondée.

Soudain, le chef indiqua le départ.

Une des pièces préférées de la jeune adolescente : le concerto pour violoncelle et orchestre n°1, de Haydn. Aussitôt, elle se laissa emporter par la musique qu'elle connaissait par coeur.

Joseph von Silbervolgen, le regard alerte, écoutait l'orchestre, puis leva son archet.

Et il commença à jouer.

Ce qui émanait de lui était foudroyant. Ses yeux bleus, même à la distance où Arlette se trouvait, étaient d'une expressivité incroyable, et ses gestes étaient pleins d'un mélange de précision et de prestance qui fascina la musicienne en herbe qu'elle était.

Le flot de notes qui sortit de l'instrument la submergea, tant la musique vivait à travers lui. Il peignait avec délicatesse le tableau qui s'empara de l'esprit de la jeune fille. Elle n'était plus que fixée sur le son chaud du violoncelle, faisait complètement passer en arrière-plan l'orchestre, car même l'harmonie la plus intense, la plus riche n'avait rien de comparable à cette beauté.

Ses mains se crispèrent sur la balustrade jusqu'à ce que ses jointure deviennent blanches, son cœur s'accéléra, et ses yeux qui n'étaient plus en mesure de voir quoi que ce soit s'écarquillèrent. Le souffle court, elle se mit à haleter sous le flot de sentiments qui l'envahissait.

Comment ? Comment arrivait-il à ce niveau de compréhension, qui semblait absolu, de ce qu'il jouait ? C'était incroyable, du jamais vu. En tout cas, l'adolescente n'avais jamais rien observé ou entendu d' égal à cela.

Elle aurait voulu, pendant la trentaine de minutes que dura le concert, avoir cent cœurs et milles oreilles pour abreuver encore mieux son âme, pour se gorger toute entière de cette musique qui la rendait extatique.

A la fin, le musicien joua quelques derniers accords chargés d'émotion, véritables feux d'artifices dans la cage thoracique de la jeune auditrice, puis, un léger sourire sur ses lèvres, laissa retomber ses dernières notes, avant de baisser lentement son archet.

Aussitôt, les applaudissements fusèrent de toute part, mais Arlette n'eut même pas la force de joindre les siens. Non, ses mains restaient crispées sur le bois de la balustrade, et ses yeux étaient chargés de larmes, qui dévalèrent ses joues malgré elle. La silhouette élégante du violoncelliste, rendue floue par le flot salé, se leva et s'inclina avec une tenue impeccable.

- Arlette ? Ça va ?!

Elle fut ramenée sur terre par la voix inquiète et étonnée de son ami, qui ne s'était pas attendu à la voir dans cet état pour un court concert où était jouée une pièce relativement connue.

- Oui... Je... je vais sortir ! balbutia-t-elle, encore sous le choc. Elle se détourna et s'enfuit aussi vite que possible, une vague de chaleur la remplissant de toute part.

Une fois arrivée sur un des balcons, elle s'appuya contre le mur et posa une main contre son sternum, ses joues irradiant littéralement. Son coeur battait à une vitesse folle. Ralentirait-il un jour ?

Que venait-il d'arriver ? Arlette, sans vouloir se l'avouer, n'arrivait que trop bien à comprendre...

Sa vie ne serait plus jamais comme avant.

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant