Chapitre LV : Conversation

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Joseph réfléchit un instant. Pouvait-il tout leur révéler ? Non, cela devait être la décision d'Arlette, pas la sienne. Il devait lui parler.

- Elle semblait... absente, ces derniers temps. Triste et effacée. Pas du tout comme d'habitude.

Il repoussa la petite voix désagréable qui l'accusait de mensonge. Ce qu'il avait dit était vrai, mais largement incomplet : il en savait beaucoup plus, mais enfoncer davantage Arlette était la dernière chose qu'il souhaitait.

- Je vois... murmura la mère de celle-ci. Je ne comprends pas. Mais peut-être que les médecins arriveront à la faire parler.

Joseph fronça les sourcils :

- Je m'étonne qu'ils ne l'ait pas faite hospitaliser... Pas que je crois qu'elle en aurait eu besoin, non, mais elle était à l'évidence prête à se faire plus que du mal.

- Que voulez-vous. Apparemment, trois demi-journées en ambulatoire par semaine suffisent. Mais elle n'ira pas au lycée de sitôt. Ils n'ont pas qualifié cela de "tentative de suicide" mais de "crise suicidaire".

- Mais... c'est absurde ! réagit Joseph. J'ai expliqué en détail ce que j'avais observé au médecin : Elle était prête à se jeter dans le vide !

Les deux parents haussèrent les épaules, signe de leur impuissance.

- En tout cas, répliqua Auguste d'un ton bourru et un brin méprisant, je trouve cela hallucinant qu'elle n'ait pas été envoyée en clinique psy. C'est une adolescente prête à sauter sans raison d'un immeuble, et ils soutiennent qu'elle n'a pas de problèmes psychiatriques.

Joseph se sentit se hérisser. Il avait déjà remarqué que les Flavigny parlaient de leur fille cadette sans beaucoup de considération, et avec plus d'embarras et de mépris qu'autre chose. Mais leur manque d'empathie envers elle, malgré leur cordial accueil et leur politesse, le révoltait profondément. Mais comment pouvait-il en juger ? Il n'avait jamais eu d'enfants. Et les parents, pour l'instant n'avaient aucune idée de ce que leur enfant avait traversé.

- En tout cas, reprit M. Flavigny, nous avons eu de la chance que vous ayez été là. Vous semblez bien connaître Arlette. Si je puis me permettre... quel est exactement votre lien avec elle ?

Le violoncelliste réfléchit un instant sous le regard interrogateur de l'homme. Qu'était-il, au juste ? Pas vraiment un professeur, plus une sorte de mentor... pendant un temps, du moins. La jeune fille et lui-même étaient désormais, artistiquement, sur un pied d'égalité. Ces derniers temps, elle faisait presque aussi souvent des suggestions et des observations sur son jeu que lui en faisait sur son chant : elle remarquait souvent des subtilités, incluses ou non dans la partition, que lui-même avait échappées.

- Oh, un simple collègue. Mais nous travaillons beaucoup ensemble.

Ils ouvrirent de grands yeux : sûrement à cause du fait que ce musicien célébrissime, connu mondialement et considéré comme un génie, actuellement en train de prendre le café chez eux, mettait sur un pied d'égalité leur fille de dix-sept ans.

Oui, décidément, il y avait quelque chose de curieux en ce maestro porté aux nues par tout les opéras, salles de concert, conservatoires et philharmonies de la planète, mais qui semblait n'en concevoir aucune gloire. 

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant