Chapitre LXXV : Douceur

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Arlette ne contrôlait plus rien. 

Dès que Joseph sortit sur le balcon à sa suite, il sentit deux mains fébriles agripper sa veste de smoking, et une bouche moite s'écrasa sur la sienne. 

Il n'avait rien pu prévoir, ayant à peine eut le temps d'entrapercevoir le feu brûlant dans les prunelles de la jeune femme.

Il s'était d'abord raidi, trop  surpris pour comprendre ce qu'il se passait : mais il avait vite réalisé qu'Arlette était en train de l'embrasser. 

Sa raison lui hurlait de la repousser, de fuir, mais il était déjà trop tard, il était incapable de réfléchir.

Les yeux clos, il pressa avec maladresse sa bouche contre elle de la jeune femme, répondant à l'assaut de ses lèvres. Arlette sentait sous ses doigts le cœur du violoncelliste battre à cent à l'heure, mais ne pouvait réaliser la gravité de ce qu'elle faisait tandis qu'ils s'étreignaient avec emportement

C'était à la fois si intensément douloureux et délicieux qu'ils étaient incapables de se reprendre, bien qu'ils aient tout les deux largement dépassé la limite. Ils avaient tout deux le sentiment que ce qu'ils faisaient leur était absolument vital. 

Le baiser se fit plus doux, moins empressé, et Joseph reprit pied avec la réalité. Parcourant de ses longues mains sa taille, puis son dos, il cherchait désespérément une prise qui lui permettrait de sauver le peu de bon sens qui lui restait, qui disparaissait entre ses lèvres soyeuses.

Ses mains enserrèrent délicatement ses épaules, comme s'il craignait de la briser par son contact, et il se força à se détacher doucement d'elle, encore haletant.

Heilige Scheiße.

Il sentit le souffle tiède de la jeune musicienne glisser sur son visage tandis qu'il l'éloignait assez pour ne plus sentir son corps pressé contre le sien.

- Arlette... murmura-t-il sans conviction aucune... Non...

Arlette tenta d'apaiser le brasier en elle, mais ne fit que s'étrangler encore plus avec sa frustration, réalisant ce qu'il venait de se produire. Ses lèvres la brûlaient encore de son baiser. 

Fichues hormones. 

Joseph tenta de reculer, mais se trouva incapable de se séparer d'elle, et il finit par coller son front au sien, tandis qu'ils reprenaient leur souffle de concert. Il tressaillit en sentant une mèche auburn échappée de son chignon frôler sa joue. 

Heureusement que la nuit était noire, et qu'ils étaient seuls. 

- Arlette... Je suis désolé... haleta-t-il à nouveau. 

- Non, c'est... moi, hoqueta-t-elle doucement, confuse. Oh, je suis désolée, je... 

Il redressa la tête, et tomba en arrêt devant ses yeux languissants. Elle avait la chaire de poule : évidemment, dans la nuit de ce début de printemps, il faisait froid. 

Il essaya de détourner son attention du parfum enivrant qu'elle dégageait, et ôta en silence sa veste, avant de la placer précautionneusement sur ses épaules, prenant garde à ce que leurs peaux n'entre plus en contact, avant de s'accouder à la balustrade, tout cela sans qu'elle ne bouge, bouche-bée. 

Le violoncelliste sentit son regard se détourner de son visage, le coeur douloureux. 

- Vous n'êtes pas en colère ? glissa-t-elle, au bout d'un moment. 

- Non, Arlette, soupira-t-il, cachant dans l'ombre le tremblement nerveux de ses mains. 

Elle se plaça à côté de lui, et il vit qu'elle aussi semblait être dans un grand trouble. 

- Je suis désolée, murmura-t-elle, honteuse. Je ne sais pas ce qui m'a prise...

Il secoua la tête, ne voulant pas que ni l'un ni l'autre ne retombe dans la culpabilité. C'avait été trop douloureux. 

- Tout va bien... chuchota-t-il. 

Elle se tourna vers lui, le regard doux, un peu fébrile, sans doute : 

- Je vous aime.

A ces mots, il eut un léger sursaut, mais un sourire peu assuré étira ses lèvres fines, comme s'il craignait de trop se laisser emporter par la joie. Mais le fait était qu'il était heureux de l'entendre. Et pas qu'un peu. 

- Je sais, souffla-t-il plus pour lui que pour elle.

Il sentait encore sur sa bouche le fantôme de son baiser. Il en rêverait sans doute un certain nombre de nuit dans les années qui allaient suivre. 

Il restèrent un moment en silence, profitant côté à côte de la douceur de la nuit. Maintenant que leur ardeur s'était envolée, il demeurait une sorte de plénitude. Joseph avait souhaité sans se l'avouer ce moment autant qu'elle, et, désormais, il comprenait que son amour pour elle, dans une autre existence, aurait pu durer toujours. 

Mais trente-cinq ans, c'était déjà beaucoup de temps arraché à toujours, beaucoup trop pour le monde. 

- C'était merveilleux, ce soir, souffla-t-elle à nouveau, et il sentit qu'elle parlait du concert, mais aussi de ce qui avait suivi.

Il se tourna vers elle, son coeur se serrant devant sa beauté.

- Oui, lui accorda-t-il, c'était merveilleux. 

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant