Chapitre LVXII : Stasi

33 7 2
                                    


Joseph parla longuement des musiciens en RDA, et de sa situation particulière.

- Mais je dois t'ennuyer, ce sont de vieux souvenirs, soupira-t-il au bout d'un moment.

- Absolument pas, protesta Arlette, je vous défend de penser cela ! Alors si je comprends bien, vous étiez opposant du Communisme ? reformula-t-elle, les yeux grands ouverts.

- Pas au Communisme... même s'il ne fait pas partie de mes idéaux. Au Stalinisme, précisa-t-il, le regard voilé par les souvenirs. Mais dès mon adolescence, j'ai commencé à voir clair...
Je... hésita-t-il, conscient qu'aller plus loin, ce serait se dévoiler à son interlocutrice, mais devant son regard plein de douceur, il continua : - ... Je n'ai pas eu une enfance heureuse. Et dans ce pays, où le artistes étaient soient des renégats, soit des prosélytes à la solde du régime, il n'y avait pas non plus de place pour la liberté...

Il s'arrêta. La bonne humeur du début de leur moment partagé avait disparu, au profit d'une certaine mélancolie, mais venant cette fois-ci de lui.

- Vous n'êtes pas obligé de continuer, si cela vous est trop difficile, intervint Arlette avec une sollicitude touchante. J'ai été invasive, pardonnez-moi...

Elle paraissait sincèrement attristée, mais son regard appuyé lui insuffla l'énergie nécessaire pour continuer. Il en avait besoin, dans un sens. Il tourna sa cuillère dans sa tasse, et prit une inspiration :

- Non, non, pas du tout, allons, se reprit-il, comprenant que son besoin brutal de se confier à elle était l'expression de l'amitié et l'affection sincère qu'il lui vouait. - Tu as le droit de savoir. Un jour, commença-t-il avec gravité, alors que je travaillais dans un orchestre assez réputé, j'ai eu la bonne surprise de trouver des officiers de la Stasi sur mon lieu de travail. J'avais à peine vingt ans...

Des limbes de sa mémoire ressurgissaient des images brumeuse, et Arlette, le coeur battant, vit les traits de son visage se contracter douloureusement.

- Une obscure affaire de "propagande américaine". J'avais ramené d'une tournée aux États-Unis après ma victoire à un prestigieux concours des partitions contemporaines, que le chef m'avait défendu de répandre parmi les membres de son ensemble. Ce que j'ai tout de même fait, naturellement, ironisa-t-il. - Le discours que j'ai tenu n'a pas plu, et j'étais depuis quelques années dans le collimateur de l'Administration Judiciaire. J'ai fait demi tour aussi sec, sans être vu, et j'ai eu le plaisir de trouver mon appartement saccagé, retourné de font en comble.

Ses yeux s'humidifiaient au simple souvenir de sa panique lorsque qu'il avait compris ce qu'il risquait :

- La Stasi avait récupéré les partitions, des journaux politiques venus des pays de l'Ouest, ma correspondance avec des musiciens étrangers prouvant que j'avais participé à un congrès pour la liberté des artistes où l'on avait passé six jours à cracher sur la dictature.  Bref, avec mon début de célébrité et ces preuves... j'étais un ennemi dans mon propre pays. J'ai quitté le pays grâce à des contacts en RFA, et j'ai continué ma carrière à l'étranger... J'ai fui...

Arlette se trouva elle aussi au bord des larmes. Elle l'avait déjà vu vulnérable. Elle le connaissait, le comprenait.
Mais son histoire restait floue.

Il s'était dévoilé en toute confiance, et elle ne l'en estimait et aimait que plus.

Sans crier gare, Joseph vit la jeune fille fondre sur lui et l'enlacer sans dire un mot.

Il n'eut pas la force de la repousser une nouvelle fois, et ne put que la serrer maladroitement à son tour dans ses bras, le soulagement lui nouant la gorge.

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant