Chapitre LI : Chaos

57 12 32
                                    

Joseph avait immédiatement compris ce qu'il se passait. 

La silhouette d'Arlette, en équilibre sur le bord du toit d'un immeuble de trente mètre, se découpait dans le ciel illuminé par les éclairs. 

Son expérience personnelle, avec un père ayant sauté du troisième étage lorsqu'il avait douze ans, lui faisait voir très clair. Alors que les parents de la jeune fille restaient bouche bée, trop horrifiés pour réagir, lui réfléchissait à toute allure.

Soudain, Gabrielle prit une profonde inspiration et ouvrit la bouche, prête à crier. 

Joseph s'élança vers elle et attrapa son bras pour l'arrêter de justesse.

- Ne faites pas ça ! Elle ne nous a pas vu, mais si elle s'apercevait de notre présence, elle risquerait de sauter avant que l'on ne l'en empêche ! s'écria-t-il avec violence. Appelez les services de secours, je vais tenter de faire quelque chose !

Sous le regard désemparé des deux parents, qui ne semblaient pas capter l'urgence de la situation, il bondit en avant, poussant brutalement les portes de Semplice pour entrer. 

Le violoncelliste traversa à toute allure le hall, puis le couloir, pour atteindre la cage d'escalier. Tout était désert, à cette heure-ci. 

Il courait, le plus vite possible, maudissant son âge, son peu de souffle, sa faiblesse. Tout était une question de secondes.

Car il allait perdre Arlette. Elle était prête à se jeter dans le vide. 

Des larmes débordaient de ses yeux, il sentait le monde devenir flou autour de lui, l'air lui manquer. 

Arlette en était poussée à ces extrémités parce qu'il était la cause, l'origine de tout ce qui lui était arrivé, du début à la fin.

 Arlette, mon amour, attends encore un peu, par pitié...

Il ne pouvait la laisser mourir. Parce qu'il était peut-être un pédophile, un aveugle, un fou, il n'en restait pas moins...

... Profondément épris d'elle.

Pour la première fois, il ne luttait, ne niait, ne diabolisait pas ses sentiments. Parce qu'il était sur le point de la perdre, et seul demeurait le plus important :

Il l'aimait.

Un étage, deux étages, trois étages, puis quatre, et enfin cinq. Le monde tournait autour de lui, son souffle se faisait erratique. 

"Ne pas s'arrêter, ne pas s'arrêter", répétait-il en son for-intérieur, priant pour ne pas flancher.

Enfin, sa main affolée attrapa l'échelle qui allait jusqu'au toit.

Maladroitement, il se hissa jusqu'à la trappe, qu'il se mit à tenter d'ouvrir en pestant. Enfin, elle céda en grinçant, et le violoncelliste sortit sur le toit. 

La pluie battante obstruait sa vue : les éléments semblaient se liguer contre lui. Pourtant, la vie d'Arlette n'était sûrement qu'une question de seconde. Peut-être avait-elle même déjà sauté. 

Son regard paniqué balaya le toit, cherchant la jeune fille.

Elle était là, à une dizaine de mètres de lui, de dos, face au vide béant qui semblait vouloir l'engloutir. Elle ne s'était pas aperçue de sa présence. Il ne voyait d'elle que des épaules voûtées, des contours lumineux, et une chevelure trempée battant dans le vent. Elle avançait un pied hésitant au dessus le l'immensité avide et noire.

Soudain, elle tourna la tête, et l'aperçut.

Joseph vit la scène se dérouler comme au ralenti : ses yeux s'écarquillèrent, et elle vacilla dangereusement, trop surprise pour retrouver son équilibre. Ses lèvres s'écartèrent en un cri muet.

Joseph se précipita pour la rattraper.

La gravité ne parvenant à se décider, elle oscilla un instant sur le rebord, la vie et la mort tentant chacune de l'emporter.

Elle allait chuter, lorsqu'une main accrocha son poignet, et l'attira vivement en arrière, l'arrachant au vide.

Ils tombèrent au sol, Joseph serrant contre lui le corps frêle de la jeune fille qu'il venait de soustraire à la mort. 

Arlette allait sauter. 

Mais Joseph, désormais, la tenait entre ses bras, bien vivante. Elle s'accrocha désespérément à lui, ses larmes coulant de plus belle, se mêlant aux siennes. 

Elle respirait, elle vivait. 

Joseph la serrait à l'en étouffer, pris tout entier d'un élan désespéré, plein de douleur et de soulagement, tandis qu'elle sanglotait, ses bras enlaçant son torse, se raccrochant à sa présence. 

Leurs coeurs affolés battaient à nouveau, leurs yeux se fermant tandis qu'il s'étanchaient du contact de l'autre. 

On pouvait entendre les sirènes des secours en contrebas, étouffées par le tonnerre, la pluie et le vent. Mais seul leurs deux corps enlacés existaient désormais au milieu du chaos.

* Ouf ! Je sens que beaucoup ont respiré à nouveau.

Alors, votre avis ? Vos réactions ?

Que pensez-vous de ce que Joseph a fait pour empêcher Arlette de sauter ?

Désormais, tout va changer, non ? Comment ? Et est-ce que les rapports entre Arlette et Joseph vont en être changés ?

J'avais cette scène en tête depuis le début de l'histoire, c'était vraiment une de mes premières idées. Mais je dois dire que la voire écrite, ici, maintenant, après cinquante chapitres, ça me fait tout drôle. Je suis vraiment heureuse de partager avec vous cette histoire, et votre soutien m'est infiniment précieux.

Alors je vous remercie encore, parce que j'ai vraiment l'impression d'avoir apporté quelque chose. Je me trompe ?

Merci beaucoup et à très bientôt !*

                             Jeanne Flamingo



- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant