Chapitre LVII : Étouffement

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Arlette et Joseph marchaient côte à côte dans la rue, dans le silence le plus complet.

Ce n'était pas qu'ils n'avaient rien à ce dire, non, mais plutôt que la puissance de ce qu'ils avaient à faire passer à l'autre faisait que toute tentative de parole restait coincée dans leurs gorges.

Peut-être qu'après tout, les mots n'étaient pas la bonne manière d'extérioriser cela. Ils traversèrent en silence une rue, puis deux. Arlette, les mains enfoncées dans les poches de son manteau bleu nuit, l'observait du coin de l'œil.

Il portait ce jour-là un complet gris, avec une chemise bleu clair à fines rayures. Avec son feutre et ses lunettes cerclées de métal, il semblait sortir tout droit d'un drame historique des années vingt. 
C'était étonnant, la façon qu'il avait d'être habillé comme il y a un siècle, mais de toujours paraître étonnement hors du temps.

Elle baissa les yeux en rougissant en voyant qu'il avait remarqué qu'elle le détaillait.

Les deux musiciens marchèrent encore un moment, évitant tout deux le regard de l'autre. Le vide qui habitait Arlette depuis quelques jours semblait lentement faire place à une sensation douloureuse d'étouffement et de faiblesse. Elle se concentra sur ses pieds.
Mais alors qu'ils arrivaient à l'embranchement d'une rue, Joseph s'arrêta et se tourna vers elle, interrogateur :

- Où voudrais-tu aller ?

À cet instant, elle sentit quelque chose se rompre en elle. Il était si prévenant avec elle, alors qu'elle lui avait apporté tant d'ennuis... Le souvenir de toutes leurs discussions animées, passionnantes, les regards échangés, les après-midi passées dans les partitions, à analyser chaque son qu'ils jouaient, chantaient, et ces fantastiques moments d'osmose qu'ils semblaient tout deux ressentir dans la musique.

Son coeur semblait se briser à nouveau, ainsi que toutes les digues qu'elle avait soigneusement construites pour empêcher ses sentiments de déborder. Elle l'avait, en forçant ses sentiments à ressortir, perdu de toute façon.

Pouvait-elle, avec leurs âges respectifs, le qualifier d'ami ? C'était en tout cas la façon dont elle avait perçu leur relation : malgré ses sentiments à elle  qui allaient bien plus loin, il s'était agit de quelque chose de comparable à un profonde amitié.
Et, par sa faute, brisée. Comme elle s'en voulait...

- Arlette ?! Arlette !!!

C'est la voix affolée de Joseph qui la ramena à la réalité : impuissant, il avait attrapé ses épaules. Elle constata que des larmes dévalaient ses joues, incontrôlables. La jeune fille se raccrocha au regard bleu du violoncelliste, luttant pour ne pas se noyer dans ses incontrôlables sanglots, la respiration haletante. Puis, soudain, elle ne sentit plus ses jambes flageolantes.

L'adolescente se serait effondrée là, sur le trottoir gris, si Joseph ne l'avait pas rattrapée.

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