Chapitre LXIV : Musique !

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- Oh, mince... gémit Arlette, morte de honte, rougissant subitement.

Joseph se tourna sur le tabouret du piano et s'empressa de la rassurer, prévenant :

- Allons, ce n'est pas grave, c'est juste une fausse note. Recommençons, veux-tu ?

Elle déglutit, semblant ravaler le son peu gracieux qui était sorti de son gosier, puis se campa fermement sur ses deux pieds.

La jeune fille laissa sa voix soyeuse sortir de sa gorge, et exécuta à nouveau le passage, à la perfection cette fois-ci.

Elle inspira profondément et se tourna vers lui.

Il laissa un instant son regard errer sur sa silhouette. Elle était pâle, considérablement amaigrie, mais gardait cette grâce et cet aura qui l'entourait.
La position du chanteur lui seyait admirablement, dégageant son visage lumineux, et il dut se retenir de lui dire à quel point il la trouvait belle. Ce serait déplacé. Malvenu. Mais vrai.

- Je suis désolée, soupira la jeune fille. Je vous fais perdre votre temps, c'est vraiment...

- Je t'arrête tout de suite, je ne perd pas mon temps, dit-il, détachant chacun de ses mots. Il la regarda dans les yeux par dessus les verres de ses lunettes, et elle eut soudain très chaud, se souvenant de ses mots.

Elle avait déjà médité des heures sur ce qui s'était passé dans le parc, mais le souvenir de cet instant la remplissait toujours de confusion. Elle écarta de son esprit ses préoccupations et se concentra sur son regard.

Ils restèrent quelques instants les yeux dans les yeux, ne pouvant résister à l'attrait incontrôlable qu'avait un long échange de regards languissants. C'était tout ce qui leur était permis, quelque chose qui était déjà bien trop proche de la limite à ne pas dépasser.

Et pourtant, la chaleur qui se diffusait dans tout son être lorsqu'il la regardait ne mentait pas à Arlette, et il lui semblait impossible d'arrêter de l'aimer un jour.

C'était simplement impossible, car, aussi étrange, immoraux, scandaleux, anormaux que puissent être leurs sentiments l'un envers l'autre, ils leurs semblaient à tout deux absolument vitaux.

Ils furent sortis de leur contemplation fascinée et mutuelle par le son d'un clocher qui au loin sonnait cinq heures.

- Diable, déjà ! s'écria Joseph, surpris. Il referma sa partition et se leva, avant de s'approcher de la jeune musicienne :

- Arlette, tu sais que je dois partir en tournée au Japon, pas vrai ?

Elle hocha la tête, son regard se faisant un peu triste, et il sentit son coeur rater un battement.

- Je serais absent au moins dix jours, peut-être un peu plus. Mais je voulais te demander...

Il marqua une courte pause, se passa une main sur la nuque, embarassé, et reprit :

- ... Tu sais que le concert est dans trois semaines. Et je souhaite... enfin, seulement si tu le veux... que l'on exécute le programme prévu.

Arlette ouvrit de grand yeux, et il vit à travers ses yeux bruns son appréhension remonter en flèche.

- Je...

- Tu n'as pas à répondre tout-de-suite, bien sûr. Mais voilà, penses-y, s'il-te-plaît.

La jeune fille hocha la tête, l'air un peu perturbé, et le raccompagna silencieusement jusqu'à la porte d'entrée.

Joseph lui tendit assez formellement la main, geste qui l'étonna car depuis quelques-unes de leurs mésaventures, le musicien fuyait son contact comme s'il craignait de se brûler.

Ils ne dirent pas un mot de plus. Arlette prit doucement sa main, et la laissa dans la sienne sûrement bien plus longtemps que les convenances ne l'autoriserait.

Quand elle le vit s'éloigner dans la rue, Arlette sentit à quel point son rétablissement était fragile, et ne tenait qu'à une chose : lui.

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant