La nuit qui suivit fut sûrement la pire de toute la vie d'Arlette.
Elle était rentrée chez elle, essayant de retenir ses larmes. Sur le chemin, sa mère n'avait posé aucune question. Gabrielle avait le chic pour éviter les confrontations.
Mais à l'instant où elle avait passé la porte de sa maison, elles savait qu'elle allait devoir se débrouiller pour que rien ne se sache, malgré l'interrogatoire qu'elle allait subir.
Son père, qui avait attendu dans le salon, s'était levé. Arlette, dans ces moments-là, ne savait jamais ce qu'il pensait, tant son expression était fermée.
- Qu'est-ce qu'il se passe, à la fin ?
L'adolescente prit son courage à deux mains pour retenir tout ce flot qui l'envahissait.
- Rien... C'est juste... On s'est mal comprises... chuchota-t-elle sans convictions.
- Tu ne veux rien dire ? Tu es égoïste, s'exclama-t-il, visiblement en colère. Tu nous laisses nous inquiéter sans rien dire !
Gabrielle, appuyée contre le mur, regardait les yeux de sa fille s'embuer sans intervenir, l'air pincé.
Arlette sentait toute sa rancœur, encore une fois, refaire surface. Une douleur terrible lui vrillait la tête, la sang lui battant aux tempes, et elle se redressa brusquement pour faire face à son géniteur. Elle n'avait plus envie d'être Arlette, elle voulait simplement crier, taper des pieds et claquer les portes, s'enfermer et mettre de la musique à fond, se comporter comme l'adolescente qu'elle aurait du être. Ses yeux s'écarquillèrent, et, dans un rictus montrant son désespoir et une sorte de folie qui la traversait, elle se mit à hurler:
- Je vous ai demandé de vous inquiéter ?! Vous êtes comme les autres, vous me pourrissez la vie ! Je n'ai rien demandé, moi, et vous m'avez collé ce fichu prénom, votre fichue ambition, vos fichus problèmes existentiels, TOUT SUR LE DOS !!! C'est moi, l'égoïste ?!! Je ne veux pas de votre inquiétude, je ne veux pas vous parler parce que de toute façon, VOUS N'EN AVEZ STRICTEMENT RIEN A FAIRE !!!
La gifle partit toute seule, mais cette fois-ci, Arlette la recevait.
Un bruit cinglant, puis elle sentit sa joue la brûler, et, les yeux pleins de larmes et d'incompréhension, elle tourna les talons et s'enfuit. Elle monta les escaliers en trébuchant, ignorant le cri de sa mère: "Arlette ! Reviens ici tout de suite !", et se réfugia dans sa chambre.
Cela faisait longtemps que son père ne l'avait frappée. Elle avait complètement oublié, et c'était pour le mieux.
Elle aurait aimé tout oublier.
La jeune fille passa donc la nuit à pleurer. Elle avait si mal qu'elle en aurait presque prié pour que tout s'arrête là, maintenant.
Ce soir-là, elle avait perdu l'affection et le respect de ses deux meilleurs amis et de ses parents. Et, même quand elle ramenait des notes avoisinant les températures de l'Antarctique, même lorsqu'elle avait raté, à l'âge de quatorze ans, son examen de piano, et même lorsque ses camarades de CM1 l'avaient encerclée dans la cour et l'avaient trempée d'eau après une déclaration d'amour ratée à son béguin d'enfance, elle n'avait jamais autant souffert.
C'était d'autant plus malheureux qu'elle savait que ce n'était que le début.
°*°*°
Joseph sentit, à l'instant où sa jeune protégée entra dans la salle où se tenait la conférence de ce matin, que quelque chose n'allait pas.
Arlette était extrêmement pâle, et deux grandes cernes entouraient ses yeux sombres. Elle ne tourna même pas le regard vers lui, murmurant en passant un simple "Bonjour" d'une voix enrouée, et alla s'asseoir au fond de la pièce.
Il n'était pas habitué à ce comportement renfermé de sa part. D'ordinaire, elle se serrait arrêté un bref moment, aurait levé vers lui ses beaux yeux flamboyants, et l'aurait salué d'une voix claire, avec un léger sourire intimidé. Il aurait répondu en lui jetant un regard complice, et aurait lancé une banalité sur le programme de la journée ou le travail fourni, avant qu'elle ne renchérisse en souriant franchement.
Ces petits moments, au cours de la journée, étaient devenus une habitude. Il s'étonnait lui-même du plaisir qu'il prenait à leurs échanges, et était toujours plus surpris par la culture classique et musicale qu'elle avait.
Arlette semblait s'intéresser à tout, et avoir dans beaucoup de domaine une érudition remarquable. Bien sûr, c'était dans celui de la musique qu'elle semblait exceller le plus. Il n'avait jamais rencontré d'adolescente étant capable, en lisant une partition de Bach, d'établir seule un lien avec les travaux de Pythagore sur la structure harmonique, ou de déceler chaque référence historique dans les lignes même des livrets qu'elle avait sous les yeux. Elle semblait tout voir, tout analyser, et c'était très déconcertant.
Il lui était apparu que son talent ne constituait en fait qu'un pan de son esprit exceptionnel. Arlette, maintenant qu'il commençait à la connaître, l'intriguait et le fascinait de plus en plus.
Il fut donc anormalement peiné de la voir dans cet état. C'était étrange, il avait côtoyé beaucoup de gens, en avait vu beaucoup pleurer, hurler, désespérer, mais jamais il n'avait ressentit cela, face à une frêle jeune fille renfermée et triste. Peut-être était-ce dû au fait qu'il avait rarement rencontré une personnalité si hors du commun.
Ou bien...
Il secoua la tête, surpris et gêné par la pensée qu'il venait d'avoir. Il fallait vraiment qu'il prenne du repos, les effets du surmenage commençaient à vraiment se faire ressentir sur ses pensées confuses, dont il perdait le contrôle. Il chassa avec empressement cette idée étrange.
Le violoncelliste la regarda à nouveau. Son regard était perdu dans le vague, envahi par quelque chose d'intense et brute, quelque chose qu'il ne connaissait que trop bien...
Du désespoir.
* Bonjour ! Je publie mon chapitre du jour, qui est un peu long... J'espère que ça ne pose pas de problèmes ! J'en posterai sûrement un autre bientôt.
Bon, alors... Qu'en pensez-vous ?
Je malmène la pauvre Arlette, non ?
J'espère bien que vous TRrRrRREMBLEZ pour elle !
Questions ? Et c'est partiii !
- Alors, que pensez-vous des réactions des parents d'Arlette ?
- Comment va-t-elle gérer le fait de s'être mis à dos la plupart des personnes comptant pour elle ?
- Alors, que pensez-vous de la vision qu'a Joseph d'Arlette ?
- Et de son ressenti, par rapport à cette situation ?
- Que va-t-il pouvoir faire ?
Des réponses dans le prochain chapitre de DISSIMILARITY ! *jingle*
A bientôt et merci d'avoir lu !*
Jeanne Flamingo
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- Dissimilarity -
Romance{ HISTOIRE TERMINÉE } Arlette, jeune passionnée de musique d'à peine dix-sept ans, vit la tête pleine de rêves, et comme dans toutes les histoires d'adolescents, elle est amoureuse ; rien de très étonnant. Si l'on oublie le fait que cet amour soit d...