Chapitre LXIX : Générale

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La générale du concert était toujours un des moments les plus éprouvants de la vie musicale, et Arlette, comme à chaque fois, en avait fait l'expérience. 

Mais la musique la faisait guérir. Cela, tout le monde le savait.

Cette après-midi avait été l'une des plus longues et stressantes de toute sa vie, bien sûr. Mais, pour les compliments qui fusèrent en coulisse lorsqu'elle y entra, venant autant de musiciens professionnels que de plus jeunes, elle sentit tout son corps se détendre. Timothée sortit des rangs de musicien et lui offrit une bourrade affectueuse. 

- Bravo, ma vieille. Je crois que la saison prochaine, ils vont te demander d'aller chanter au Carnegie ou au Met, s'esclaffa-t-il. 

- Arrête de raconter n'importe quoi, rit-elle nerveusement. J'ai pas...

Il secoua la tête, avec une pointe d'envie :

- S'il-te-plaît, le morceau de Purcell, c'était du pur génie ! 

Elle secoua la tête, un peu gênée par le regard des autres musiciens. Il y avait beaucoup de grands interprètes parmi eux, et elle savait que ce concert serait déterminant pour son avenir. 

Mais quand elle chantait aux côtés de Joseph, elle ne craignait plus la scène, et se livrait totalement. 

D'ailleurs, elle ne le voyait pas. Arlette promena son regard à travers la foule, traversa le couloir, et s'engouffra dans un autre. Les portes de toutes les loges étaient ouvertes, et, après l'avoir cherché, elle l'aperçut à l'intérieur d'une d'entre elle, en train de ranger le précieux violoncelle baroque dans un étui renforcé. 

Elle se plaça doucement dans l'encadrement de la porte, sans qu'il ne l'entende. 

- Joseph ? l'appela-t-elle doucement. A ces mots, elle eut la surprise de le voir sursauter. Les yeux ronds, il se tourna vers elle, et secoua la tête. 

- Guter Gott, maugréa-t-il. Il parut se reprendre, et releva les yeux vers elle. - Je suis désolé, je suis fatigué, je crois. 

C'était vrai qu'il avait l'air épuisé. Ses yeux étaient cernés, et son regard un peu embrumé montrait qu'il avait sûrement une consommation de café un peu trop importante.

Arlette hocha la tête et s'avança dans la pièce, avant de lui offrir un sourire compréhensif. Il s'investissait tant dans l'ensemble ces derniers temps qu'il en oubliait d'avoir d'autres projets, ou même une vie extérieure.

Il soupira, et se redressa, mais elle voyait bien que sa fatigue le rattrapait, et, pour être honnête, elle commençait à elle aussi ressentir les effets des répétitions intensives organisées par Valdor. Elle se posta en face de lui, très droite.

- J'ai beaucoup aimé, aujourd'hui, articula-t-elle, rougissante. 

Joseph sentit le trouble l'envahir. Evidemment, ç'avait été extraordinaire. Elle seule avait cette façon unique de déclamer les mots avec tant de conviction, les faisant danser de telle sorte qu'en regardant ses yeux pétillants, on pouvait y voir la musique, tout simplement. 

Et elle avait un compréhension telle de ce qu'elle chantait ou entendait qu'il était aisé de se perdre avec elle dans leur dialogue lorsqu'ils performaient  ensemble. 

- Moi aussi, glissa-t-il en contrôlant soigneusement ce qui sortait de sa bouche. L'as-tu senti, toi aussi ?

- Quoi donc ? 

- Les gens. J'en ai vu plusieurs pleurer. 

Elle ouvrit grand la bouche, son visage s'illuminant : 

- C'est vrai ?! Oh, mon Dieu, c'est merveilleux ! 

Et, sans crier gare, elle lui bondit littéralement dessus, entourant son cou de ses bras, et l'étreignit avec enthousiasme. Il fit un pas en arrière, surpris, et, se sentant perdre l'équilibre, il l'entoura par réflexe de ses bras, mais ne tomba pas. 

Il resta dans cette position, son coeur s'affolant, ne sachant que faire. Céder à sa raison, c'était risquer de la blesser à nouveau, et céder à son coeur, c'était  prendre le risque que tout dérape. Mais, lorsqu'il s'apaisa, il se dit que rien dans l'univers ne pouvait valoir son contact tant son étreinte était douce. 

Au bout d'un moment, elle releva la tête vers lui, toujours à une proximité plus qu'inconvenante, et un nouveau souvenir radieux éclaira son visage : 

- Merci, Joseph. Tout cela, c'est grâce à vous. 

Il secoua la tête, sentant son corps se détendre, et posa les mains sur ses épaules :

- Absolument pas. Tout ceci, nous l'avons fait, et le ferons encore ensemble. 

      

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant