Chapitre LXXXII : Au revoir

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L'indifférence de Joseph deux jours avant son départ avait grandement entaché la joie d'Arlette, mais celle-ci gardait le mince espoir de le voir une dernière fois.

Sabrya et sa famille l'avaient accompagnée jusque dans le hall de la gare le jour de son départ.

Après avoir étreint longuement sa fille, Gabrielle fit un pas en arrière pour la contempler. Elle avait l'air fière, contrairement à Auguste qui, impassible, l'embrassa sur les deux joues avec une peu de distance.

Arlette s'était habituée au peu de démonstrativité de son père, et lui sourit.

Sidonie aussi vint l’étreindre, et la jeune musicienne sentit son coeur se serrer. Même sa peste de soeur allait lui manquer.

Les larmes aux yeux, après avoir échangé quelques mots avec chacun des membres de sa famille, elle se tourna vers Sabrya, qui lui tendit son énorme valise.

Les yeux de Sabrya brillaient.

- Allons, tu ne vas pas pleurer, tout de même, se moqua Arlette, dans une piètre tentative de s'empêcher de pleurer.

Peine perdue.

Ses bagages finirent par terre, tandis qu'elle étreignait longuement son amie de toujours.

- Allez, vas-y, murmura son amie, la voix étouffée par l'émotion. Et oublie-nous. Oublie tout. Tu vas être merveilleuse, Arlette.

Ragaillardie, Arlette ramassa son sac-à-dos et sa valise, adressa à ses parents et son amie un dernier au-revoir, et fit volte-face.

La jeune femme s'éloigna sans se retourner, un sentiment de liberté lui réchauffant l'âme. Elle avait insisté pour aller seule jusqu'au train.

Pourtant, elle sentait sa peine la poursuivre.

Il était presque l'heure du départ. Il ne viendrait pas.

Elle s'avança sur le quai, posa sa valise sur un banc, et s'assit à côté. La tête dans les mains, elle sombra dans sa contrariété. Son écriture n'avait-elle, comme souvent, pas été lisible ? Ou ne voulait-il simplement plus la voir ?!

Soudain, elle se figea.

Se découpant très nettement dans le fond sonore, elle entendit des pas, tout proches.

Arlette leva vivement la tête, les yeux écarquillés.

Joseph se tenait devant elle, comme une apparition dans la clarté de Mai.

Arlette vacilla un instant, n'osant y croire, puis se leva vivement, leurs regards s'accrochant.

Bouche-bée, ils restèrent un instant stupéfaits, sans pouvoir dire un mot.

- Je ne pouvais pas... te laisser partir comme ça, finit-il par dire.

Ses yeux disaient "Je suis désolé".

Arlette eut envie de lui sauter au cou, de l'embrasser à nouveau avec emportement, mais au milieu de tout ce monde, c'était impossible, et sans doute bien trop dangereux.

Les gens passaient, sans voir les deux musiciens qui se fixaient avec un soulagement sans bornes.

- Vous êtes là... murmura-t-elle, ébahie.

Il hocha la tête, la gorge nouée, mais le coeur ressuscité par son regard radieux, où il lisait l'infini. Ses joues étaient humides, mais il n'aurait pu dire avec certitude si c'était à cause des larmes ou de la fine bruine qui tombait sous les rayons du soleil printanier.

Une voix aseptisée indiqua par dessus le bruit de la foule que le train allait partir. Ils n'avaient presque rien dit ; ces mots étaient inutiles. Tout ce qu'ils avaient à dire passait par les yeux.

Et à cet instant, Joseph comme Arlette lisaient dans les yeux l'un de l'autre un amour sans fin.

Arlette attrapa sa valise, jeta son sac à dos sur ses épaules. Elle s'approcha de lui, un sourire aux lèvres, et, se haussant sur la pointe des pieds, vint déposer un long baiser sur sa joue.

Le coeur battant, il ferma douloureusement les yeux, profitant de leur dernier contact, de son parfum, de sa proximité, de la musique de sa respiration désordonnée.

Elle s'écarta de lui, et riva à nouveau son regard au sien, le regard empli d'affection.

- Au revoir, murmura-t-elle.

Elle sourit une dernière fois, et fit quelques pas en arrière à reculons, juste pour que leurs yeux restent accrochés un peu plus, tandis que résonnait le dernier appel.

Puis, soudain, elle se détourna, et il la vit s'éloigner, sa chevelure flamboyante flottant derrière elle, puis s'engouffrer dans un wagon.

Mais, alors qu'elle disparaissait, Joseph sourit.

Elle avait dit "au revoir". Pas "adieu", "au revoir.

Ce n'était pas un adieu.

Le train démarra sous le regard du violoncelliste.

Joseph, avant de rencontrer Arlette, n'avait jamais cru au destin. Il songea qu'il avait alors infiniment tort.

Dans le coeur d'Arlette comme de Joseph vivait une unique certitude :

Ils se reverraient, dans cette vie ou dans une autre.

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