Chapitre LXXIX : Inconnue

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Arlette se tourna, encore troublée par les événements successifs de la soirée : la réussite, le baiser, puis la confrontation avec Lisa... 

Elle remonta le couloir, cherchant du regard ses parents ou Joseph, saluant au passage divers musiciens dont elle reçut les compliments avec plaisir.

Soudain, elle les aperçut tout les trois à l'extrémité de la coursive, en pleine conversation. Une quatrième personne discutait avec eux, ce qui étonna Arlette qui ne l'avait jamais vue. 

C'était une femme très grande et encore très belle, à la courte chevelure blond platine, bien que devant approcher la soixantaine. Elle portait un élégant tailleur rose sombre.Son visage était fin et jovial, et le regard qu'elle posait à intervalle régulier sur sa mère, son père ou le violoncelliste était vif. 

Arlette s'approcha avec prudence, n'osant pas les interrompre. C'est Joseph qui l'aperçut en premier, et son regard s'éclaira, bien qu'il eût l'air sincèrement embarrassé de se trouver face aux parents de la jeune femme.

Celle-ci s'approcha, tentant un sourire maladroit. Elle ouvrit la bouche, prête à les saluer, mais ce fut sa mère qui l'apostropha : 

- Arlette, félicitations ! C'était très bien. 

La chanteuse hocha la tête. Très bien, et c'était tout. Mais il ne fallait pas trop en vouloir à ses parents, qui n'entendaient pas grand-chose à la musique en général. 

Elle se tourna vers l'inconnue, puis vers Joseph, le regard interrogateur. 

- Je crois que tu ne connais pas encore Amanda Aniston. Amanda, je te présente Arlette. présenta-t-il très courtoisement, s'attirant le regard malicieux de la femme. Celle-ci fixa à nouveau son regard sur la jeune musicienne, qui se redressa, stupéfaite : 

- Comme la musicologue ?! 

- En personne, répondit Amanda d'une voix chaude et grave, faisant sursauter de plus belle l'adolescente. Ravie de faire votre connaissance, Arlette. Je tenais à vous féliciter en personne ; Joseph m'avait faite venir en affirmant que vous aviez du potentiel, mais pas à ce point là. 

 Amanda était scandaleusement charmante, et tout en elle semblait chic, même son très net accent de Brooklyn, sans oublier son expérience et sa popularité. 

Arlette rosit sous le compliment, bien qu'un peu étonnée, et pour tout dire un peu agacée par la proximité apparente entre la célèbre musicienne et son violoncelliste. 

Venait-elle  bien de l'appeler ainsi ? 

C'était possible, et même probable. 

Gênée, elle secoua la tête pour chasser la sensation papillonnante qui se répandait dans tout son corps et leva à nouveau les yeux vers Amanda, évitant le regard de Joseph qu'elle sentait sur son visage, ainsi que celui de ses parents. 

- Amanda est une amie de longue date, expliqua Joseph au couple Flavigny en prenant garde à ne rien laisser transparaître de son affection pour leur fille. - Elle dirige une académie pour jeunes talents à Londres, où elle permet aux musiciens prometteurs de suivre un cursus scolaire dans  plusieurs langues, tout en se formant afin d'être la prochaine génération d'interprètes. Nous avons discuté il y a quelque mois du cas d'Arlette - Il fit une pause, et échangea un regard avec celle-ci. La jeune femme le connaissait assez-bien pour déceler la légère agitation qu'il cachait sous ce masque d'assurance. - Nous pensions évaluer grâce à ce concert son niveau en situation. Or, il se trouve qu'il est bien au-dessus de ce que j'attendais. 

Il se tût et se racla la gorge, embarrassé. 

- J'ai été impressionnée par votre fille, reprit à sa suite la musicologue, s'adressant à Gabrielle et Auguste, et c'est le seul critère d'admission demandé pour l'école que je dirige. Je crois au talent, et, si vous le pouvez et le souhaitez, Arlette, vous aurez une place dans les plus brefs délais à Londres.

L'adolescente se tourna vers ses parents, indécise. Sa mère avait l'air intéressé, semblant plutôt enthousiasmée par les propositions de la célèbre musicienne, et son père paraissait résigné. 

- Nous avons parlé de ta situation, répondit Gabrielle face à la question muette dans les yeux de sa fille. 

- Et celle-ci n'est pas un problème, renchérit Amanda, compréhensive. Tu peux être assurée que tu seras accompagnée et soutenue. 

- Et pour ce qui est de l'hébergement ? demanda à nouveau l'adolescente, sans oser trop y croire. C'est tout de même un pays étranger !

- Ton frère, voyons, soupira sa mère comme si cela était évident. 

Arlette fixa tour-à-tour les visages de sa bienfaitrice, de ses parents, puis du violoncelliste. Celui-ci affichait un sourire un peu distant. C'était lui, à l'évidence, qui avait manigancé tout cela.

- Attendez... Vous avez déjà tout prévu ?!

- Pas prévu, intervint Gabrielle. Mais nous avons décidé d'y songer. Après tout, c'est peut-être la meilleure chose, pour toi. 

Tout cela était si... irréaliste. Arlette reporta son regard sur Amanda, qui lui sourit, puis sur Joseph. Celui-ci comprit très bien ce que voulait dire son regard humide, et haussa les épaules, un peu penaud. C'était lui, lui, qui avait permit que le rêve devienne une réalité. 

L'émotion noua sa gorge, et elle sentit, pour la première fois, ses sentiments maudits se mêler à de la joie. 



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