Chapitre LXV : Choeur

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Mon Dieu, mais qu'est-ce que je fais là ! 

Arlette, dans l'encadrement de la porte, passait nerveusement d'un pied sur l'autre, faisant face aux regards étonnés des cinquante choristes présents dans la salle. Elle regrettait à cet instant d'avoir accepté la proposition de Joseph, elle était loin d'être capable de chanter ce concert.

- Euuuh... articula-t-elle avec difficulté. Bonjour. 

Elle entendit Joseph s'esclaffer derrière elle. Très vite, le choeur d'adolescents se désintéressa d'elle et ses membres se remirent à bavarder, chahuter... 

Au milieu de ce joyeux tapage, elle se tourna vers Joseph. Il lui avait tellement manqué au cours de la dernière dizaine de jours qu'elle sentit son coeur se serrer douloureusement, mais elle essaya d'oublier cette sensation au profit d'un état d'esprit un peu plus léger.

- Gut erledigt, bravo : ça, c'était une entrée ! se moqua-t-il gentiment. Elle lui lança un regard faussement outré, tenta de s'empêcher de pouffer avec lui, par dignité, mais échoua lamentablement. Rapidement, cependant, ils se maîtrisèrent, et le chef rentra dans la salle, la musicienne à sa suite. 

Celle-ci alla s'asseoir non-loin du choeur et regarda avec attention le musicien ouvrir ses partitions, annoncer le numéro, puis se lancer. Marquant le tempo de sa baguette, il inspira, et donna au choeur le départ.

C'était magnifique, bien sûr. Elle avait souvent vu Joseph au violoncelle, mais il était tout aussi admirable à la direction. Ses gestes étaient précis, amples, ses traits concentrés. C'était véritablement incroyable : à chaque fois qu'il faisait de la musique, Arlette avait l'impression de découvrir un peu plus de son âme. Et, malheureusement, elle ne l'en aimait que plus.

Elle aurait pu des heures le regarder battre la mesure, et voir s'écouler à travers ses yeux clairs le flot de notes. Il portait ce jour-là un costume en tweed du plus bel effet, dont il avait ôté la veste, restant en veston et chemise immaculée. 

Il jetait à intervalle régulier des regards à sa protégée qui savourait, le coeur battant, le choral de Bach. C'était incroyablement translucide. Tout comme lui. 

L'aimer était-il vraiment une si grande faute, après tout ? 

Qu'était-ce, en vérité, qui l'avait porté à aimer un homme ayant trois fois son âge, sans le connaître plus qu'à travers sa musique ?

C'était bel et bien la reconnaissance d'une âme pareille à la sienne, d'un esprit rare et magnifique, qui l'avait entraînée sur cette pente dangereuse.

Et maintenant qu'elle savait ses sentiments réciproques, à défaut que ses désirs ne soient réalisables, il lui paraissait encore plus impossible de s'en défaire.

La battue de Joseph ralentit, et il marqua la fin du morceau.
Le musicien tourna son regard incroyablement profond vers la jeune fille. Il avait remarqué avec un peu d'étonnement les regards que lui lançait la jeune fille. Enfin, il hapa son regard et, conscient d'approcher de bien trop près la limite, il se permit, par un léger sourire, de manifester tout son soutien, et, malgré lui, son amour. Personne dans le choeur ne put saisir la fugace et mélancolique beauté de leurs subtiles oeillades échangées.

À cet instant, alors qu'il hochait la tête, l'encourageant à se lever et à s'élancer, à chanter, Arlette comprit que ce feu brûlant en elle ne s'éteindrait pas, contrairement à ce qu'elle avait pensé.

Elle avait cru pouvoir laisser mourir de lui-même ce brasier, qui continuait pourtant de croître.

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