Chapitre XXXVI : Eau

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Arlette s'empressa de s'échapper, ignorant encore une fois les regards rivés sur elle, et, après s'être débarrassée de l'assiette encore pleine, elle se précipita dans les toilettes, ses larmes noyant son regard  affolé.

Elle ressemblait à un oiseau, qu'on aurait enfermé dans une cage laissée entre les griffes de chats affamés. Une seule question se posait : qui l'attraperait en premier, et déchiquèterait les derniers restes de ses ailes ?

La jeune fille s'appuya sur le lavabo, et, d'un main rageuse, tourna le robinet.

Le débit s'intensifia, et, soudainement, elle plongea brutalement la tête sous l'eau glacée.

Personne n'était là pour voir ses larmes se mêler à l'eau claire.

Quand elle releva la tête, sa chevelure sombre et trempée dégoulinait sur son imperméable bleu, et son visage blanc la contemplait dans la glace.

Son reflet. Elle ne pouvait s'y faire, tant elle se détestait.
Qu'aurait-elle donné pour n'avoir jamais été Arlette Flavigny !

L'adolescente ne voulait plus avoir à affronter les regards du monde.

Ses camarades. Ses amis. Ses ennemis. Sabrya. Timothée. Andreas. Gaëlle.

Joseph.

Soudain, des bruits de pas dans le couloir la firent sortir de son état de léthargie méditative.

- Arlette ? Tu es là ?

Charlie.

Son camarade apparut dans l'enbrasure de la porte, son air impassible ayant laissé place à un mélange d'inquiétude et d'agitation.

Quand iel la vit, iel se figea, puis se précipita vers Arlette.

- J'ai appris ce qu'il s'est passé à la cafétéria. Ça va ?

Arlette eut un rictus qui se voulait être un sourire rassurant, mais qui inquièta plus qu'autre chose son compagnon. Iel s'approcha de la jeune fille et se mit à faire les cent pas, réfléchissant.

- Il faudrait qu'on fasse quelque chose. Il y a bien un moyen de...

- Charlie ?

Iel s'interrompit et leva la tête vers elle :

- Oui ?

- Pourquoi... Pourquoi tu fais tout cela ? Tu ne sais même pas de quoi il en retourne vraiment...

Charlie se planta face à elle, son regard se faisant un peu dur.

- Quoi que ce soit, tu es légitime dans ta façon d'être. Je sais que cette photo est en fait le miroir disons... déformant d'une situation bien plus complexe. Mais, Arlette, au fond, ça ne changera pas la perception que j'ai de toi. Et, si je t'aide, c'est parce que tu es comme moi. Mon moi d'avant, je veux dire. Je ne m'en étais pas rendu.e compte avant, tu cachais vraiment bien ton jeu.

Tu maintien l'illusion que tu es comme tout le monde. Qui tu es, qui tu aimes, qui tu deviens... tout cela doit être prédéfini par un moule.

Et je sais que toi, - À ces mots, iel se pencha en avant, faisant en sorte que ses prunelles vert d'eau soient à quelques centimètres des yeux d'Arlette - toi, tu essaye de te persuader que tu es ce que tu n'es pas, alors que tu sais pertinemment que le cacher à tout le monde n'entraînera que des problèmes, comme le prouve la situation actuelle.

Arlette, quoi que tu traverses, je me reconnais en toi. J'ai nié, j'ai souffert... et j'ai du jour au lendemain été confronté.e à l'incompréhension de tout le monde. Et l'incompréhension est le premier pas vers la haine de l'autre.

Charlie, baissant les yeux à la fin de sa tirade, laissa glisser sa main le long de son bras droit, et leva la manche de son sweat-shirt.

Sa peau blanche, marbrée de veines bleutées, était zébrée sur toute la longueur de longues marques pâles, anarchiques, sauvages, destructrices.

Mais bien trop nettes et nombreuses pour être naturelles.

Des cicatrices.

Arlette comprit, et attrapa la main de son allié.

- J'ai souffert aussi, Arlette, murmura Charlie, son ton si ténu que la jeune fille l'entendit à peine... Et maintenant, reprit-iel, la voix bien plus assuré, je ne te laisserai pas tomber.

Ils se jaugèrent un moment, en silence.

- Charlie ? Demanda à nouveau Arlette.

- Oui ?

- Je vais... Je vais tout te raconter.

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant