Chapitre XLIII : Insultes

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Joseph, quand il vit entrer Arlette dans le studio ce jour-là, sentit aussitôt que quelque chose venait de se passer. 

Elle avait les yeux cernés, et le visage crispé, comme si elle tentait de retenir ses émotions d'apparaître. 

Arlette était épuisée. Et approchait du point de rupture.

Les accords du piano, la voix cristalline de la jeune fille et les notes de son violoncelle étaient moins joyeuses qu'à l'accoutumée. 

En fait, son chant prenait des accents véritablement désespérés. Et le silence, les sourires forcés et l'absentéisme d'Arlette ressemblaient de plus en plus à un appel au secours.

Cette réflexion occupa son esprit tout le long de la répétition.

Lorsque six heures trente sonnèrent au clocher, il vit Allison sortir rapidement, le laissant seul avec Arlette.

Celle-ci était très pâle, et ses gestes maladroits montraient un certain trouble. 

- Tu as bien progressé, commença Joseph pour initier une conversation, s'avançant pour s'accouder sur le piano face à elle. Il se sentait terriblement maladroit.

- Oui, c'est... c'est entièrement grâce à vous, répondit l'adolescente, gênée. 

Il voyait déjà ses joues rosir. Elle était terriblement captivante, et chacune de ses réactions faisait battre un peu plus son coeur, qui semblait vouloir s'échapper de sa cage thoracique.

Elle était triste: peut-être traversait-elle quelque chose de douloureux. 

Et l'envie de la faire sourire, de faire revenir dans ce regard étoilé un peu de joie était assez forte pour lui faire oublier de garder ses distances. 

- Mais non, voyons. Tes efforts sont visibles, Arlette. Tu... tu es très douée. Je suis sûr que tes capacités t'ouvrent les portes d'une carrière musicale.

Elle parut surprise, et leva la tête vers lui, l'ai interrogateur. 

- C'est vrai, vous croyez ? 

- Assurément, s'amusa-t-il, heureux de son intérêt. Elle semblait quelque peut oublier sa peine.

- Arlette, me permets-tu de te poser une question ? 

Elle acquiesça, un léger sourire s'étendant sur ses lèvres. Gêné, Joseph se passa une main sur la nuque, puis se lança. 

- Est-ce que... est-ce que tout va bien ? 

Il regretta aussitôt sa stratégie sans doute un peu trop directe : il la sentit se refermer comme une huître. Ses mains se crispèrent sur la partition qu'elle tenait. 

- Oui, parfaitement bien, récita-t-elle mécaniquement, d'un ton sans appel. 

Elle se concentra à nouveau sur les partitions qu'elle était en train de ranger, sans lui adresser un regard, et il sentit son coeur se fissurer. 

Que faire ? Elle semblait hermétique à toute tentative d'approche. Son intuition lui criait que quelque chose n'allait pas. Et il l'aimait bien trop pour l'abandonner. 

Il la regarda ranger consciencieusement ses partitions, réfléchissant à toute vitesse.

Soudain, elle souleva du pupitre la pochette pour la mettre dans son sac, mais quelque chose attira vivement son attention.

Il avait une vue assez affûtée : des années à prêter attention au moindre détail de chaque partition avaient fait de lui un redoutable observateur.

Et ce qu'il avait aperçu, grossièrement griffonné et à moitié effacé, sur les affaires d'Arlette, c'était bien des insultes, plus vulgaires et outrageuses les unes que les autres. 

Des insultes destinées à la jeune fille. 

Celle-ci, ignorant sa surprise, s'était détournée, son sac sur une épaule, avant de lui adresser un "Bonsoir" ténu, et de sortir.

Ce qu'il venait de voir ne pouvait qu'éclairer Joseph : quelqu'un voulait et faisait du mal à Arlette. 

Se pouvait-il... que son funeste pressentiment soit justifié ?

Qu'on harcèle Arlette ? 

Joseph fit crisser la fermeture de la housse de son violoncelle entre ses doigts. La situation lui échappait de plus en plus.

Que se passait-il, à la fin ? 



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