Chapitre XLVIII : Révélation

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- Tu as la voix très enrouée, Arlette. Es-tu sûre que tout va bien ? demanda Joseph, l'air sincèrement préoccupé. 

Arlette ravala sa douleur, qu'elle avait contenue le temps de leur répétition. Allison était absente, prise par un récital, et être seule avec le violoncelliste était une véritable épreuve. Ses sentiments, encore plus puissants que d'ordinaire, se mêlaient à la vive souffrance qui lui transperçait la poitrine.

Et le pli soucieux sur le front de Joseph, sa voix suave et ses yeux gris n'arrangeaient rien, bien au contraire.

Il était six heures. Normalement, c'était la fin de la répétition, mais Joseph ne pouvait décemment pas la laisser partir comme cela.

Arlette, ces derniers temps, se noyait dans la musique. Son chant était la dernière chose auquel elle se raccrochait, comme en témoignaient ses cordes vocales surmenées, douloureuses.

L'adolescente leva une main froide pour masser sa gorge endolorie.

- Tout va bien, ce n'est rien.

Le regard bleu du musicien cherchait celui de la jeune fille.

- Tu travailles trop, soupira Joseph. As-tu mal ?

- Un peu, fit doucement Arlette, son visage se crispant très légèrement. 

Joseph se redressa, comprenant qu'Arlette minimisait grandement les choses, et hocha la tête :

- Attends-moi là. J'ai de quoi t'aider.

Il sortit d'un pas rapide, la laissant seule dans le studio. 

Arlette se leva, et s'approcha de la fenêtre, son regard vague se perdant dans le ciel sombre. 

Soudain, elle sursauta : elle avait senti son portable vibrer. Elle se dépêcha de le récupérer dans sa poche, puis l'alluma.

Le fait d'avoir dix-sept nouveaux messages, tous envoyés il y a moins de vingt minutes, aurait du l'alerter. Mais sans prêter la moindre attention à ce curieux détail, elle appuya sur l'icône de sa messagerie d'un geste machinal. 

Arlette faillit tomber à la renverse. 

Trois numéros inconnus lui envoyaient un flot d'insulte. 

Elle tomba à genoux devant la violence des messages envoyés, et, des larmes se mirent à couler toutes seules sur son visage incrédule. 

Le dernier message fit monter sa panique à un niveau inégalé. 

On a ton numéro. On ne va plus te lâcher, sal*pe

Ces mots étaient accompagnés d'une pièce jointe, qu'elle ouvrit, tout son corps secoué de tremblements. Son coeur s'arrêta.

C'était la photographie. Celle-ci même qu'elle ne voulait jamais revoir. La preuve de son infamie. 

Ses jointures blanchissaient tant elle serait fort son téléphone entre ses doigts, ses yeux exorbités déversant un fleuve, une mer, un océan salé. 

"Non, non, non !" gémissait-elle, haletante, ses poumons suffoquant sous le poids de sa panique.  

C'est à ce moment-là que Joseph entra dans le studio.

Il s'immobilisa, stupéfait, à la vue d'Arlette, et la tasse qu'il tenait entre ses mains lui échappa, s'écrasant au sol dans un bruit de porcelaine brisée, mais la jeune fille ne leva pas la tête. Ses épaules étaient agités de violents spasmes, et son visage était à demi recouvert par sa lourde chevelure.

Le musicien se précipita vers la jeune fille, s'agenouillant devant elle et lui attrapant promptement les épaules :

- Arlette ? Arlette ! cria-t-il presque, affolé. 

Elle leva son visage atrocement blafard vers lui. Le tremblement incontrôlable de ses lèvres l'empêchant d'articuler  quoi que ce soit. Ses joues inondées avaient pris une teinte grisâtre. Elle déglutit avec difficulté, et ouvrit la bouche. 

- Des... insultes... sanglota-t-elle. Mon numéro... des messages... des insultes... encore !

- Arlette, ce sont des camarades qui te veulent du mal ? 

Elle acquiesça, ne pouvant plus rien dire tant ses pleurs l'étouffaient. 

- Mais pourquoi, Arlette ? demanda-t-il à nouveau avec empressement, alarmé. Que s'est-il passé ?

Arlette se recroquevilla encore plus sous son regard paniqué, se dégageant de sa poigne, puis tendant doucement l'objet qu'elle serrait nerveusement contre elle. 

Son téléphone portable.

Joseph eut le tournis en voyant l'image affichée sur l'écran. 

Cette photographie. 

Il eut un mouvement de recul en comprenant ce qu'il se passait, tentant de garder son calme. Pourtant, un mélange de panique, de colère et d'incompréhension menaçait de l'emporter lui aussi. 

- Tout va bien, tout va bien, répéta-t-il à mi-voix, tentant autant de convaincre l'adolescente face à lui que lui-même. Arlette, on va... on va tout arranger. 

Il fit une pause, inspira profondément, tentant d'endiguer son désarroi.

- Tout va bien. Ils ont tort. Ces atrocités... De toute façon, rien n'est vrai, absolument rien ! éructa-t-il avec violence, tentant de s'en convaincre.

Arlette leva vivement son regard vers lui à ses derniers mots, un regard plein détresse. Ce qu'il venait de dire, apparemment, l'avait heurtée au plus haut point. Il s'était pourtant attendu à ce qu'elle manifeste son accord.

Parce qu'à l'évidence, du côté d'Arlette, comme du sien, ce qu'il venait de rugir était totalement faux. Précisément, c'est ce qu'il pouvait lire dans son regard, son visage se décomposant à vue d'œil. Il resta figé, assailli par la terrible vérité qu'il pouvait lire dans ses yeux.

Arlette était amoureuse de lui. 

Sa souffrance se lisait sur son visage, et il regretta infiniment ce qu'il avait dit. Mais trop tard :

Arlette se leva et s'élança à travers la pièce avant de disparaître dans le couloir. 

Elle fuyait. 





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