Chapitre XXVI : Marbre

55 10 7
                                    


Joseph était bien vite redevenu de marbre, déclarant que ce jour-là, il allait lui faire travailler tout les aspects techniques de sa partition.

Aussi, Arlette s'avança vers le centre de la salle, détaillant d'un regard ce qui se trouvait autour d'elle. C'était étrange, elle avait la sensation d'être observée, mais il n'y avait personne d'autre qu'eux deux, dans la large salle comme sur le balcon au dessus d'eux.

Elle se concentra sur le musicien de marbre en face d'elle, chassant cette pensée saugrenue.

Joseph jouait, ce jour-là, d'une manière très mécanique, et sans sa souplesse habituelle. Il se contentait de laisser son regard impénétrable glisser sur les partitions devant lui, assurant sa partie sans plier à la voix de la jeune chanteuse.

Au bout d'une heure de répétition à l'efficacité discutable, il s'arrêta, lui jetant un regard sceptique. Elle aurait préféré qu'il crie plutôt que d'endurer sa froideur polaire.

- Tu ralentis, constata-t-il froidement.

Arlette sentit son sang bouilloner, reprenant le contrôle de toutes ses facultés. Ce qui était en train de se produire la dépassait, mais elle ne pouvait pas se laisser malmener, même par lui.

- Je suis fatiguée, je...

- Recommence, ordonna-t-il.

- Mais...

- Recommence, répéta-t-il, son ton se faisant plus impérieux.

Alors, elle se campa fermement sur ses deux pieds, la gorge serrée.

Il frappa à nouveau le clavier, et elle s'élança avec fureur, joignant sa douleur au notes froides de Joseph.

Très vite, poutant, Arlette se rendit compte qu'elle devait réagir, vraiment réagir, et, reprennant son souffle avec force, elle chanta plus fort, prennant le dessus sur l'instrumentiste.

Leur performance prenait des allures de combat.

Mais, se laissant totalement emporter, Joseph frappa les touches plus brusquement encore, faisant redoubler d'intensité la voix de la jeune chanteuse, qui se mit à accélérer son rythme, forçant le musicien à la suivre.

La lutte se faisait désespérée, et désormais, le jeu de Joseph était devenu une vraie tornade.

Chacun tentait de prendre le contrôle, de gagner une bataille abstraite contre l'autre, mais aussi contre lui-même.
Le rythme devenait effréné, de plus en plus dur à suivre pour chacun, et, soudain, Joseph, d'un geste plein de rage, frappa le clavier dans une épouvantable dissonance pour mettre un terme à la tempête, faisant sursauter la jeune fille.

- Ça suffit ! S'écria-t-il, perdant toute contenance. Ça suffit, répéta-t-il plus fort, dardant son regard plein d'éclairs sur Arlette qui recula, apeurée.

Ils restèrent quelques minutes debout à se regarder droit dans les yeux, lui, dans une position faisant état de sa colère.
Une mince pellicule de sueur faisait briller son front pâle, et on voyait nettement, sur sa tempe, des veines palpiter.

Arlette, elle, reprenant son souffle à tout vitesse, les yeux écarquillés, dans un état de panique totalement irréfléchi. La seule chose qu'elle pu penser devant ces yeux chargés d'orage, c'est que finalement, elle préférait ne pas endurer sa colère.
Mais c'était apparemment trop tard.

Un instant, qui parut une éternité, passa.

Le chef détourna son terrible regard et sembla reprendre son masque imperturbable, bien qu'elle pouvait voir que certains de ces traits semblaient flous : son expression était prise de tressaillements.

Joseph, poussant d'un coup de genou le tabouret du piano, qui crissa sur le parquet, s'approcha d'elle, puis contourna, pour s'arrêter devant elle.

- Ton rythme, Arlette. Reprends au même endroit. En battant la mesure.

Elle était sonnée, et à son ton sans appel, elle s'exécuta immédiatement.
D'une voix mal assurée, elle reprit sa partie, les yeux fixés au sol. Elle sentait son visage chauffer à une vitesse étonnante.

- Arrête, arrête, soupira-t-il, ta battue est complètement désordonnée.

Elle se contentait de baisser la tête, évitant son regard. Pourtant, Joseph ne manifestait plus aucun signe de son emportement passager.
Doucement, il s'approcha d'elle, et vint se poster derrière, à quelques centimètres d'elle.

La jeune fille retenait sa respiration, surprise et troublée, tandis qu'il tendait un bras pour attraper sa main droite dans la sienne.
Il l'entraîna alors dans le mouvement:

- Il faut toujours garder, à travers la battue, une pulsation régulière, chuchota-t-il doucement. Son ton était étonnement doux, il semblait être redevenu égal à celui que Joseph avait toujours été.

- Chante, Arlette, murmura-t-il à nouveau, continuant de guider ses mouvements.

Alors, se concentrant sur la sensation de la présence de Joseph contre elle, elle puisa au fond d'elle assez de force pour réaliser ce qu'il lui demandait.

Elle chanta pendant quelques dizaines de secondes, se concentrant sur le rythme qu'il lui imposait.

Quand elle s'arrêta, il tremblait, mais, trop obnubilée par la course infernale de son coeur, l'adolescente ne le remarqua pas.

Mais, loin de s'éloigner comme il aurait du le faire, il laissa le mouvement de battue s'amenuiser, jusqu'à ce que leurs bras retombent. Mais il ne lâcha au contraire pas la main de la jeune fille qui, dans le creux de la sienne, tressaillait.

Elle leva la tête vers lui, le regardant par dessus son épaule. Son visage clair reflétait son désappointement.

La jeune fille entrouvrit les lèvres, et posa à mi-voix une unique question, qui le jeta dans un trouble considérable :

- Pourquoi ?

* Là, ça devient sensible. Je ne vous fais pas perdre plus de temps, direction la suite !
Alors meg_itsonlyme , je ne t'égale pas en dramatisme, mais qu'en penses-tu ?*

- Dissimilarity -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant