Un Homme Marginal 2/4 ✔️

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— Vous avez entendu la nouvelle ? La nouvelle épouse du prince Vadim serait arrivée hier soir, au Beffroi

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— Vous avez entendu la nouvelle ? La nouvelle épouse du prince Vadim serait arrivée hier soir, au Beffroi.

— On le savait déjà, merci.

— Je n'ai pas eu l'occasion de la voir encore, comment est-elle ?

À la cuisine du Beffroi, dans un concert de tintement de vaisselle et de crépitement de cuisson, un rassemblement de servantes s'adonnaient à la découpe des légumes pour façonner le repas du soir. Derrière les écrans de fumée dégageant des parfums divers et épicés, cinq d'entre elles étaient regroupées autour d'une grande bassine de bois pleine de pommes de terre qu'elles épluchaient en cœur. Cet après-midi là, les discussions allaient de bons trains chez ces dames friandes de ragots croustillants, elles qui n'avaient que cela pour se divertir lors du travail. Récemment, un sujet très intéressant était né dans leur cercle de commères professionnelles : la fameuse princesse Jaya Northwall.

Parmi ces femmes d'âges divers, Varvara retirait la peau brune de la tubercule d'un air pensif, un fin sourire aux lèvres. La princesse lui avait fait une très bonne impression, même si elle ne l'avait pas vue très longtemps. Elle lui semblait douce et effrayée par tout cet inconnu hors des neiges dont elle avait l'habitude.

— Une jolie petite brune, un peu suffisante et dédaigneuse, j'ai l'impression. Elle n'a pas montré un seul sourire depuis qu'elle est arrivée.

— C'est bien les alhoriens, ça. Aussi froids que leurs montagnes piégées dans la glace.

— Et elle est d'une pâleur ! Sa peau est semblable à l'ivoire.

— Elle n'a jamais vu le soleil, c'est normal qu'elle soit si pâle.

Des rires fusèrent.

— Le Seigneur Byron nous a ordonné de la traiter avec respect. Et que si nous étions grossières avec elle, il n'hésiterait pas à nous chasser de la tour. Non, mais vous y croyez ?

— Linbia m'a dit qu'elle n'était même pas venue souper avec les Blanchecombe, hier soir. C'est hallucinant ! Refuser l'invitation du Seigneur Byron alors qu'il souhaite l'accueillir avec tant d'égards ? Quel affront ! Encore une princesse à la fine bouche...

— Elle était peut-être barbouillée par le voyage.

— Oh, voyons, Léontine... Bien au contraire. Quand on fait un tel voyage, on a qu'une envie, c'est de dévorer un bon repas. Elle aurait pu faire un effort, rien que pour faire plaisir à notre roi.

— Notre cuisine n'est peut-être pas assez bien pour elle... À ce qu'il parait, le château d'Alhora possède de grands chefs cuisiniers. Tu parles ! Ils ne mangent quasiment que de la viande. Comment rendre un repas délicieux si on y met pas de bons légumes dedans ?

— Personnellement, je n'aime pas sa manière de marcher avec le menton surélevé. On dirait qu'elle va se prendre tous les lustres du Beffroi en pleine face.

— Moi, je la trouve gentille.

Les regards se tournèrent vers Varvara. Une servante blonde, dont le visage était parsemé de taches de rousseur, éclata de rire à l'encontre de leur benjamine. Cette dernière était si naïve.

— Gentille ? Ah, ma petite Varvara, il te faut si peu de choses pour apprécier quelqu'un. Tu lui as parlé, au moins, pour dire ça ?

— Oui, le prince Vadim m'a demandé hier soir de l'escorter jusqu'à sa chambre. Je l'ai vue ce matin, aussi. C'est une fille qui m'a l'air perdue par ce qui lui arrive. Elle parait froide d'apparence, mais... Je crois qu'elle est plus chaleureuse que ce qu'elle laisse voir. Peut-être un moyen pour elle de se protéger ou bien, de garder la face devant ce nouvel environnement.

Une autre servante, plus rondelette, grommela dans son double menton.

— Si tu le dis, mais il reste que sa petite allure hautaine ne me plait pas.

Sa voisine mima un frisson théâtral lui tailladant l'échine.

— Brrr... La chambre du prince Vadim. On dirait un donjon... Rien que d'y entrer pour y faire le ménage me terrifie.

— Moi aussi, je n'ose même pas y mettre les pieds seule. Je n'imagine même pas ce que cette princesse a dû en penser, en y entrant.

— À ta place, je m'imaginerais plutôt ce que cet affreux gaillard lui a fait subir, hier soir.

— Oh, la nuit de noces... Par Ymos, je ne préfère même pas y penser. Le prince Vadim me file la trouille alors que nous le connaissons depuis des années, je n'imagine donc même pas pour cette pauvre fille qui ne le connaît pas.

— Elle n'a pas de chance d'avoir épousé un tel animal cruel...

Varvara mordit nerveusement sa lippe devant ces langues pendues et acerbes. Ses consœurs n'avaient donc aucun respect pour le prince ? Malgré son caractère impossible, il restait un fils Blanchecombe, leur supérieur de surcroît.

— Le prince Vadim ne nous a jamais fait de mal, le défendit Varvara. Il se contente de nous ignorer la plupart du temps.

— Justement. Malgré son emploi du temps chargé, le prince Leftheris nous accorde bien plus de temps, lorsqu'il est au Beffroi. Du moins, il nous considère davantage que son frère. Il ne passe jamais devant nous sans nous saluer. On peut dire qu'il représente nettement mieux la grandeur de la famille Blanchecombe. Il fera un roi exemplaire.

— Ouiii, murmura une servante rousse dont les joues étaient rosies. L'autre jour, il m'a ouvert la porte du salon de thé alors que j'avais les mains pleines. Il est si attentionné, si poli...

— Si beau...

Malgré elle, Varvara murmura ces mots. Était-elle devenue folle ? Derrière elle, un couteau s'abattit avec force sur le plan de travail. L'épaisse carotte des neiges fut tranchée d'un seul coup. Le son de l'impact contre le bois résonna dans son cœur et sembla fendre son âme en deux. Elle se mordit les lèvres, crispée, et jeta un regard inquiet vers sa mère, Omaima. L'intendante lui lança un regard noir qu'elle évita aussitôt, le cœur battant la chamade.

Oui... Elle l'avait bien entendue... Misère...

— Je suppose que les rumeurs concernant le prince Leftheris et sa place de général sont plus vraies que jamais. J'ai surpris une discussion entre lui et le Seigneur Byron, il compte lui confier les rênes de l'armée d'ici moins de six mois.

— Il a l'étoffe d'un vrai meneur... Avec lui, nous serons tous en sécurité à Cassandore. Il a les connaissances, la maîtrise et un physique si... parfait.

— Tellement parfait... enchérit une autre, rêveuse. Il est si beau qu'on dirait qu'il a été sculpté par Ymos lui-même.

— C'est vrai, ça m'en donne des frissons !

— La petite princesse d'Alhora doit être déçue de ne pas avoir reçu ce frère-là pour époux.

— Totalement. Du moins, à sa place, je le serais grandement.

Baissant la tête dans ses pelures de pommes de terre, Varvara se tut. Elle sentait le regard pesant de sa mère fixé sur son dos, étouffant sa respiration. Elle n'était pas autorisée à parler des garçons devant elle, et encore moins des princes. La jeune femme en était parfaitement consciente, mais avait pourtant oublié cette règle importante.

À l'avenir, Varvara se jura de ne plus se laisser entraîner dans les bavardages dangereux de ses consœurs. Cela lui éviterait pas mal de problèmes.

𝐋𝐄 𝐂𝐑𝐈 𝐃𝐄 𝐋'𝐇𝐈𝐕𝐄𝐑Où les histoires vivent. Découvrez maintenant