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À Alhora, un blizzard impitoyable balayait les rues sous un tourbillon de flocons blancs

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À Alhora, un blizzard impitoyable balayait les rues sous un tourbillon de flocons blancs. Les gardes, malgré leur corps engourdi par le froid, persévéraient dans l'exécution de leurs ordres. Pourtant, les recherches pour retrouver l'intrus demeuraient vaines, plongeant Frost Northwall dans un abîme d'incertitude. Aucun incident supplémentaire n'avait été signalé, à croire que l'homme avait fui vers les montagnes, territoire inaccessible aux soldats d'Alhora.

Cassandore avait déjà envoyé des victuailles et des litres d'eau des sources pour alléger le fardeau d'Alhora, mais également des milices militaires pour récolter leur dû. Ces hommes étaient téméraires, bravant l'interdiction de pénétrer dans la Forêt des Murmures et escaladant les collines enneigées pour s'enfoncer sans crainte dans les montagnes. Frost savait que leur objectif n'était pas seulement de retrouver l'assassin de son garde, mais aussi de sonder le terrain à la recherche de richesses cachées. Byron Blanchecombe avait été on ne peut plus clair : de vastes gisements de métaux précieux se dissimulaient dans ces terres sauvages et inexploitées. Si les Alhoriens ne les prenaient pas, les Cassandoriens ne se gêneraient pas de les revendiquer.

Cependant, déranger les créatures des Montagnes Boréales n'était pas une bonne idée. Frost le savait, malgré tout.

Le roi avançait d'un pas lent dans l'Église Ymosienne du Haut Conseil d'Alhora, cherchant un peu de réconfort chez son dieu. C'était un instant de quiétude avant la tempête d'activités et d'obligations qui l'accablait en permanence. Il comparait ces moments de recueillement aux premiers rayons du jour, pendus à sa fenêtre. Il en avait besoin pour s'éveiller d'un trop grand tourment.

Ses pas résonnaient dans cet antre de la paix, veillé par l'œil de pierre des représentations divines. Des gargouilles siégeaient dans les hauteurs du plafond d'ogive communiquant les sons comme des complaintes. Ces êtres ailés et cornus, laids mais plein de grâce, étaient les messagers d'Ymos, ceux recueillant les âmes pour les guider jusqu'au gardien du monde spirituel. Ils avaient une forte influence sur le bien et le mal. Les manuscrits sacrés parlaient de ces créatures saisissant doucement la main de l'être à partir, bon et pieux, pour l'emmener au ciel. A contrario, ils traînaient les hommes mauvais et infidèles par la tête pour les accrocher à la terre dans une après-vie de souffrance.

L'église était vide, lui seul avait eu le courage de braver la tempête pour s'y rendre.

Ce lieu évoquait en lui une multitude de souvenirs, chacun plus vibrant que le précédent. Sa mémoire se rappelait avec émotion de son union sacrée avec Chrysiridia, qui avait ébloui l'assemblée dans sa robe de cristal étincelante. Il se souvenait également de son couronnement en tant que roi, à l'âge tendre de vingt-huit ans, lorsqu'il avait succédé à son défunt père. L'appréhension de ne pas être à la hauteur de ce règne qui lui était imposé si jeune le submergeait encore aujourd'hui. Enfin, ses pensées les plus récentes étaient pour sa chère petite Jaya, dont les noces avaient également été célébrées en ce lieu. Lorsqu'il posait ses yeux sur l'autel désormais désert en son fond, il la revoyait, si belle au bras de son mari, mais si triste.

Comment aurait-il pu faire autrement ?

L'illusion de la foule hurlante dans les festivités était désormais remplacée par le souffle du blizzard, à l'extérieur. Sa chère petite fille... Il espérait tant qu'elle soit à l'aise à Cassandore et que les Blanchecombe la traitaient avec un respect exemplaire. Il était bien conscient que les gens du sud pouvaient être décadents et immoraux, peut-être à cause de l'air marin. Leur culture était différente et leur respect envers les femmes n'était pas le même. À Cassandore, tout était plus libre et la conduite morale plus dévergondée. Il avait même cru comprendre que des femmes étaient engagées à l'armée.

Jaya était tout ce qui lui restait, le dernier souvenir de son épouse, le fruit tendre et impulsif de ses entrailles. L'enfant pour lequel il abandonnerait son trône sans hésitation. Il avait combattu pendant des années, traversé d'innombrables guerres qui l'avaient façonné, mais cette bataille était la plus difficile à endurer.

La laisser partir avec un homme...

Devant la nef, Frost s'arrêta et leva ses yeux clairs vers la mosaïque du vitrail avant de soupirer. Le verre bleu et mauve, frappé par la lumière du jour, laissait des éclaboussures lumineuses sur son visage. S'agenouillant humblement au sol, posant les coudes sur le prie-dieu, le valeureux roi se rabaissa à la simple forme d'homme de foi. Dans le silence et la solitude, il croisa ses mains au ciel.

Calastë Ymos Maïroa... Je ne sais si mes mots monteront jusqu'à vous. Si vous entendrez ma très humble prière. J'implore votre grâce, ô roi spirituel... Protège ceux qui me sont chers. Protège mon peuple, offre-leur la pitié qu'ils ne trouvent pas sur terre. Protège ma fille, fait qu'elle ne souffre pas de mes choix. Je veux qu'on l'aime comme elle le mérite, qu'on éclaire la misère de son cœur. C'est une enfant si jeune encore, si douce, si pure. Protège là, Ymos...

Ymos resta silencieux aux complaintes du roi ; il n'attendait aucune réponse de sa part, juste un apaisement dans son cœur.

— Vous cherchez la paix dans la parole d'Ymos, mon roi ?

Frost ne tourna qu'à peine la tête et reconnut la voix de l'archevêque Olien. Le vieil homme à la longue barbe blanche sortait du cloître et avait surpris son souverain dans un moment de paix. Agenouillé dans cette position, le roi avait perdu de sa grandeur impressionnante. Or, il n'en restait pas moins un homme respectable et gorgé d'amour pour sa religion.

L'archevêque avait jugé bon d'interférer dans son calme, afin de savoir si cette âme en détresse avait besoin d'épancher sa peine ou si elle désirait juste de simples conseils pouvant lui apporter le réconfort nécessaire.

— Oui, mais il est resté muet, mon père. Je n'espère qu'une seule chose, qu'il puisse apporter à ma fille toute la paix qu'elle mérite.

— Vous vous inquiétez beaucoup pour la jeune princesse. C'est normal. Elle ne vous a jamais quitté. L'alliance avec Cassandore a apporté beaucoup de bonnes choses à Alhora, mais d'un côté, je sens que ne vous n'êtes satisfait qu'à moitié. Ai-je tort, mon roi ?

Frost baissa piteusement la tête.

— Toute ma vie, j'ai cru faire les bons choix, que ce soit pour moi, mon peuple, ma famille, mon foyer... J'ai toujours fait passer le bien-être et la protection des autres avant la mienne. C'est un peu cela être un roi, un roi exemplaire comme l'était mon père avant moi. Moi seul peut enclaver la menace rôdant autour de mes précieuses terres, mais aujourd'hui... Je réalise que Jaya était un moteur essentiel dans mon envie de me surpasser. Tout comme sa mère, à l'époque. Elles étaient si précieuses. J'en ai perdue une à jamais... et je viens de perdre l'autre, car j'ai jugé bon de l'offrir si jeune pour sauver ma ville... Elle est... si jeune encore. C'est une enfant...

— Vous ne l'avez pas perdue. Elle est loin de vous pour l'instant, mais elle reviendra. Elle est certes jeune, mais adulte. Ymos ne vous en voudra pas, vous n'avez donc pas lieu de vous en vouloir. Nous devons prendre les petites décisions avec notre tête et les grandes avec notre cœur, mon roi. Si votre cœur fait du bruit en vous, c'est que c'était la bonne décision.

Pouvait-il croire en des paroles si grandes ? Il osait espérer que oui. Après sa tirade, le père Olien avait haussé les épaules et libéré son rire si caractéristique, capable de soulager les âmes les plus meurtries. Dans l'antre de la prière, il n'y avait ni règles, ni doutes à entretenir. La paix se trouvait derrière le voile de la peur et de la culpabilité, et il suffisait simplement de le soulever du bout des doigts. Redressant la tête vers le vitrail, Frost Northwall remercia silencieusement son dieu.

Il avait eu une réponse.

𝐋𝐄 𝐂𝐑𝐈 𝐃𝐄 𝐋'𝐇𝐈𝐕𝐄𝐑Où les histoires vivent. Découvrez maintenant