Elle appréciait certainement ce plaisir délétère qu'elle ressentait, lorsqu'elle plongeait ses mains dans les entrailles d'un corps humain. Lorsque ses doigts glissaient, de façon presque lascive, entre les intestins lubrifiés de graisse viscérale ; lorsque ses mains s'enfonçaient là où personne ne s'était jamais aventuré.
Les caillots sanguins, comme des minuscules granules qui venaient frotter contre son derme, y avait-il sensation plus exaltante ? Y avait-il meilleure odeur que celle d'un cadavre marqué de lividités ? C'était si délicieux, que le docteur Mortensen sentit des spasmes au contact des organes de ce macchabée.
Aujourd'hui était un jour spécial, le jour où sa formation s'achevait. Ces dernières dix-sept années, même si elles semblaient une éternité, étaient passées trop vite aux yeux d'Allison Mortensen. Elle se souvenait de la première fois où elle avait mis les pieds dans cette organisation, de la première fois où elle avait ouvert un cadavre avec son bistouri, de la première fois où elle en avait dépecé.
Bien entendu, ces petits extras ne faisaient pas partie de sa formation médicale. Non, à l'Agence des Chirurgiens de Dieu, on leur apprenait l'art de tuer grâce à la chirurgie. Cette organisation privée l'avait formé pendant dix-sept ans, la dotant du pouvoir d'ôter la vie par son bistouri, et ceci sans laisser de traces.
On lui avait appris comment fonctionnait une autopsie, comment contourner le système, car contrairement à ce qui se disait, le meurtre parfait existait. Il était né avec l'ACD. Et Allison vivait désormais pour perpétuer cette tradition. Aujourd'hui était un jour spécial, le jour où elle devenait un Chirurgien de Dieu.
La salle dans laquelle la jeune femme se trouvait ressemblait étrangement à un bloc opératoire, en plus malpropre. Une unique lampe circulaire était suspendue au plafond, immortalisant dans son faisceau un cadavre ouvert sur le billard. Glabre, livide, l'abdomen taillardé et ses organes mis à nu.
Les murs étaient bosselés, d'un gris bistre qui assombrissait davantage la pièce. Le plafond était bas, décoré de motifs hexagonaux sombres, et on y décelait de longues trainées ensanglantées qui semblaient s'être incrustées avec le temps. Il y avait, alignées contre les murets, quelques vieux moniteurs et des étagères où on avait rangé l'ensemble du matériel chirurgical.
Un essaim de bébés araignées avait formé des monceaux recouverts de toile de soie, dans l'une des crevasses qui fuselaient le mur. Et tenue au centre du local, Allison continuait d'examiner la dépouille ouverte devant elle, avec une satisfaction non dissimulée. Un soupir silencieux s'échappa de sa bouche, accompagné d'une tiède vapeur diaphane.
Sa chevelure bleu nuit retombait sur ses épaules de façon entortillée, une frange touffue délimitait ses yeux clos. Elle avait porté une blouse médicale blanche qui renforçait son teint marmoréen. Un masque chirurgical pendait maladroitement à son oreille.
— Alors, qu'est-ce que ça te fait ? lui demanda une voix claironnante, que les murs renvoyèrent en écho jusque dans son thorax.
— Quoi donc ? s'enquit-elle à son tour, sans ouvrir les yeux.
— De devenir à ton tour un Dieu de la mort...
— Je ne peux m'empêcher de penser à tous ces cadavres qui s'offriront désormais à moi, et je suis en extase.
— Difficile de croire que ça fait dix-sept ans, hein ? ajouta la voix invisible.
— Difficile à croire que j'avais dix-sept ans, répliqua Allison.
Le temps s'était envolé si vite, songea-t-elle. La première fois qu'elle avait mis les pieds à l'ACD, elle n'était qu'une adolescente stupide et naïve qui n'avait ni rêves ni ambitions. Mentalement instable selon certains, complètement détraquée pour les autres.
Elle ne se rappelait même pas comment ça avait commencé, ni quand elle en était arrivée à se languir de plaisir à la vue d'un cadavre. Elle ne se souvenait guère de son enfance, ni de sa préadolescence, ni de ses parents. Sa psychiatre parlait d'amnésie rétrograde à un traumatisme. Sa vie était une succession de traumatismes, ça c'était certain.
D'ailleurs, elle avait encore de sombres visions momentanées de sa mère levant un poignard sur elle.
Hallucination ? Peut-être bien.
— Tu n'as pas peur d'échouer ? demanda à nouveau la voix grave.
— Echouer à quoi ?
— Ta première mission, bien entendu...
On ne devenait pas chirurgien de Dieu aussi facilement ! Sinon, qui ne voudrait pas intégrer cet extraordinaire programme top secret ? Deux siècles d'anonymat, ça avait un prix. Et le prix était la myriade de vies ôtées et les litres de sang versés.
La première mission d'un chirurgien de Dieu était et serait sans aucun doute la plus importante de toute sa vie. C'était l'étape du tri, celle qui permettait de juger qui en valait la peine et qui n'avait pas assez de cran pour porter le prestige de ce titre.
Chaque membre recevait, au terme de sa formation, une cible précise à éliminer. S'il réussissait, il obtenait le titre de chirurgien de Dieu, ou encore de Dieu de la mort. Sinon, c'est lui qui était livré à la mort. C'était en quelque sorte la phase pratique du test, celle qui faisait échouer tant de monde.
— Qui est-ce ? demanda Allison en ouvrant enfin les yeux, dévoilant des prunelles vertes qui semblaient jeter des éclairs.
— Qui ça ?
— Eh bien, ma cible.
— C'est un homme, il s'appelle Warren Eastwood.
— Pourquoi restes-tu caché ? sourit la jeune femme. Tu peux entrer, je ne suis pas dévêtue.
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LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1
Mystery / ThrillerAllison Mortensen fait partie de l'Agence des Chirurgiens de Dieu, une organisation criminelle formant secrètement des chirurgiens à l'art de tuer. Quand la jeune femme reçoit sa toute première mission à Londres, elle ne se doute pas de ce qui l'att...