CHAPITRE 38 (2)

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— Alors tu sais tout, c'est ça ?

— Non. Je ne sais pas tout. Par exemple, je ne sais pas pourquoi c'est moi qu'Easton a engagé pour te tuer, ni pourquoi j'ai fini par m'éprendre de toi au point de tout sacrifier pour que tu aies la vie sauve. J'ai passé toute ma vie à prétendre être un Dieu vivant ; mais je ne suis pas un Dieu...je ne suis pas omnisciente, je ne sais pas tout...

— Il y a tellement de choses que je ne comprends pas. Il y a tellement de « pourquoi » ! Pourquoi gâcher un tel talent ? Tu es une chirurgienne, nom de Dieu ! Pense à toutes les vies que tu aurais pu sauver par la seule force de ta volonté et ces mains expertes que Dieu t'a données. Pourquoi utiliser ce don au service du mal ?

Allison ne répondit pas directement. Elle se contenta de respirer tant qu'elle en avait encore l'occasion. Elle posa son regard sur Warren, et ce dernier sentit des frissons l'assaillir.

— J'ai été formée pour tuer, miaula-t-elle après plusieurs secondes. J'ai été créée comme ça, tu vois ? C'est la seule chose que j'ai connue, de toute ma vie. Pendant que les ados de mon âge faisaient de l'algèbre linéaire, moi j'apprenais déjà à reconnaître des organes les yeux fermés, à effectuer des sutures en surjet continu.

«Pour mon dix-neuvième anniversaire, j'ai eu droit à un mec comme cadeau ; mais pas au sens où la plupart des meufs le voudraient. Mon mec à moi, il était ligoté sur une table d'opération, nu et bourré à la morphine. J'avais le droit de l'opérer afin d'explorer...la beauté de son anatomie...toujours pas comme la plupart des meufs le voudraient.

«À peine avais-je commencé, que j'ai rompu l'artère mésentérique supérieure avec mon bistouri. Mon mec s'est vidé de tout son sang. Joyeux anniversaire, tu parles ! Le lendemain pourtant, ça ne m'a pas empêché de recommencer. En tout, j'ai tué plus de personnes qu'il n'y a de membres à l'Agence. Et je peux te garantir que ça fait beaucoup...trop.

— Quel genre d'être humain peut tuer sans se poser des questions ?

— Le genre qui n'a rien connu d'autre ! rétorqua Allison. Le genre trahi par ses propres parents et rongé par la rancœur. Je ne me cherche pas d'excuses, mais je sais que si j'avais eu le choix, une autre vie, j'aurais agi différemment.

«Tu es la première personne à m'avoir fait comprendre la valeur d'aimer et de se sentir aimé. Grâce à toi, j'étais une azalée. J'étais p...je suis prête à tout sacrifier pour toi...parce qu'en toi, j'ai trouvé la rédemption...»

— Je ne me suis jamais senti aussi connecté avec quelqu'un d'autre que je l'étais avec toi, gémit Warren. Et je me rends compte que ce n'était même pas une histoire de physique, putain. Même après que tu ais changé d'apparence, je n'ai pas pu me détacher de toi.

«Ça craint, tu es peut-être mon âme-sœur. Je suis tellement béni, maugréa-t-il en souriant. Mon petit frère veut ma peau, et mon âme-sœur est une criminelle. Merci, l'univers !»

Il y avait une déception et une tristesse dans sa voix, qui perfora le cœur d'Allison. Elle s'adossa contre le mur et enserra ses bras autour d'elle. Et pour la première fois de sa vie, elle s'effondra.

Elle tomba sur ses genoux et pleura comme jamais de toute sa vie. Pour la première fois de sa vie, ses yeux s'ouvrirent et elle découvrit qu'elle était nue. Elle réalisa le monstre qu'elle était. Elle suffoqua de douleur, tremblant comme une feuille frêle au gré du vent. Warren, désemparé face à la situation, ne broncha pas, luttant contre la boule de détresse dans sa gorge.

— Je...je suis...dé...solée...sanglota Allison entre ses dents, recroquevillée sur elle-même.

Ouvrir les yeux sur sa vie était probablement la chose la plus difficile à laquelle elle dût faire face. Sa force mentale ne lui permettrait pas de supporter une telle douleur. Et de toute façon, rien ne l'y obligeait...

Elle se précipita sur une seringue de vingt gauge qui trainait sur la commode près d'elle. Il suffisait d'un bolus 40 millilitres d'air dans son sang pour provoquer une embolie gazeuse fatale.

Elle était arrivée au bout de sa vie.

Et quelque part, savoir qu'elle était sur le point de mourir, ça apaisait un peu son cœur meurtri...

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant