CHAPITRE 15 (2)

8 2 0
                                    


L'infirmière s'extirpa de la berline bleu nuit et fila en direction de l'appartement Elle emprunta les marches et arriva devant une porte blanche aux gravures dorées. Elle sortit la clé à percussion de sa poche et l'inséra dans la serrure, veillant à ne pas déclencher l'alarme.

Lentement, elle la fit tourner et sentit avec une satisfaction extrême les goupilles s'aligner. Un déclic résonna. La demoiselle tourna le poignet et la porte pivota sur ses gongs. Emma soupira de ravissement et s'engouffra dans l'appart. À présent, elle allait découvrir ce que le docteur Mortensen cachait entre ces quatre murs...

***

— Tu te souviens de notre première rencontre ?

— Quand tu m'as suturé la cuisse ? se rappela Allison. Oui, bien sûr que je m'en souviens.

— En fait...hésita Yan. En fait, ce n'était pas notre première rencontre...

Allison ne répondit pas. Elle fit mine de se concentrer sur un groupe d'adolescents gothiques qui avait envahi le trottoir avec leurs skateboards. En réalité, elle était tout d'un coup paralysée par ce que son mentor était sur le point de lui avouer.

— Tu n'es pas arrivée à l'Agence par hasard, Alli. Nous t'avions déjà repéré...je t'avais déjà repéré...

— Qu'est-ce que ça veut dire ? Je ne me souviens pas de toi avant ce jour où tu m'avais suturé la cuisse.

— Parce que je suis resté discret. Il y a dix-sept ans, le système à l'ACD était un peu différent. Lorsque l'une des recrues obtenait son accréditation, elle ne recevait pas seulement une cible à éliminer afin de marquer la fin de sa formation.

«À cette époque, nous avions deux missions ; et la deuxième était de trouver une jeune personne talentueuse susceptible de prendre la place que nous venions de libérer. Autrement, l'Agence n'aurait pas survécu.»

Yan s'éclaircit la gorge en s'arrêtant à un autre panneau de signalisation. Ils n'étaient plus qu'à cinq minutes de l'appartement d'Allison.

— J'avais déjà arpenté une bonne partie de l'Europe et de l'Amérique, mais personne ne me semblait à la hauteur...jusqu'à ce que je te rencontre, complètement par hasard. Puis j'ai pris l'habitude de t'observer dans l'ombre.

«Tu aimais souvent te promener dans les bois, à la recherche d'animaux que tu pouvais blesser puis soigner...grâce à la chirurgie. Et tu n'avais que dix-sept ans ! J'étais fasciné. Alors, un jour j'ai décidé de te parler enfin...même si tout ne s'est pas passé comme prévu...»

***

Emma resta pendant un moment interdite face à l'austérité de la maison qu'elle venait d'assaillir. Les grandes fenêtres couvertes de rideaux laissaient filtrer une infime quantité de lumière vespérale orangée, dessinant des carrés clairs sur le plancher charbonneux.

L'infirmière posa son sac à bandoulière sur le grand canapé d'angle et fonça dans la chambre principale. L'odeur d'Allison flottait dans les airs, géranium et serpolet, mélangée à des senteurs étranges, de viande pourrie peut-être. Néanmoins, tout était impeccablement rangé dans un style vieillot victorien effarant.

Emma fouilla le dressing de la jeune femme, mais en sortit bredouille. Elle regarda sous le lit, derrière les rideaux, dans les vases décoratifs, mais rien. Elle s'attarda sur les portraits de femmes en noir suspendues un peu partout sur les murets, comme des vigiles qui épiaient le moindre de ses mouvements.

Pendant un instant, elle croisa son reflet dans le miroir en forme de pièce puzzle, et s'étonna de voir à quel point son regard était effrayé.

Elle poussa un soupir guttural en se traitant de tous les noms. Quelle conne ! Elle s'était infiltrée chez quelqu'un, sans même savoir ce qu'elle espérait trouver, et voilà : elle ne trouvait rien ! Ça n'avait rien d'étonnant, puisqu'il n'y avait rien. Le mieux à faire était de sortir de cette maison au plus vite, avant qu'elle ne se fasse surprendre pas la propriétaire.

La blonde tourna les talons et s'apprêtait à déguerpir, lorsqu'elle entendit la serrure trembler avec un fort déclic. Son cœur tressauta dans sa poitrine, quand elle réalisa qu'Allison était rentrée plus tôt que prévu...

Prise de panique, elle saisit la première poignée qui lui tomba sous la main et s'engouffra à travers la porte entrouverte. C'est ainsi qu'elle se retrouva dans la salle de bain, le cœur prêt à exploser.

— Putain, Yan je n'arrive pas à le croire, hurla Allison depuis le salon. Tu m'as caché ça depuis tout ce temps !

— Je suis désolé, Alli...

— Tu es désolé ! Bien sûr que tu es désolé. Je suis dégoûtée, tu t'es rendu complice de ce...de ce sale porc.

— Non, se défendit le châtain, je voulais te protéger.

— Donne-moi son adresse ! aboya Allison. Je vais flinguer ce fils de pute. J'te jure que je vais le buter, Yan.

— C'est le passé, Alli.

— Tu ne te rends pas compte ! Pendant toutes ces années...et toi, tu m'as caché la vérité...

Plus elle parlait, et plus sa voix se faisait plus claironnante pour Emma, terrée dans la salle de bain. Cette dernière comprit avec effroi qu'Allison venait en sa direction. Sans réfléchir, elle s'enfonça derrière le rideau de douche et bondit dans la baignoire. Son pied buta contre quelque chose.

Lorsqu'elle baissa le regard, elle se rendit compte de l'horreur. Ses deux mains plaquées sur sa bouche suffirent à peine à étouffer son cri...

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant