CHAPITRE 8 (2)

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Le moniteur cardiaque du patient se mit à hurler à l'agonie, alors que ses constantes commençaient à dégringoler.

— Epanchement péricardique, tonna Allison en enlevant rapidement la sonde.

— Qu'avez-vous fait ? s'alarma la cheffe, alors que du sang obscurcissait la vision offerte par l'échocardiographie.

— J'ai dû perforer le myocarde, répliqua la demoiselle, comme si elle était la première surprise. Ses vaisseaux sont beaucoup trop fragiles, je n'ai rien vu venir.

— Tension à 8/5 ! s'écria une infirmière de bloc.

— Il fait une tamponnade, s'effraya Geffrah, il faut drainer tout ce liquide.

Bientôt, Warren s'évanouit d'essoufflement, alors que ses constantes continuaient d'empirer. Allison demanda une aiguille de 18 gauge afin d'effectuer une ponction péricardique. Après tout, il fallait bien qu'elle fasse un peu mine de vouloir sauver la vie du patient ! Il n'y a que comme ça qu'elle se laverait de tout soupçon...elle avait retenu ses leçons à l'Agence.

Garder le jeu d'acteur jusqu'au bout.

— Fais attention, l'avertit Geffrah, ne perfore surtout pas l'endocarde !

— Je contrôle la ponction par l'échocardiographie, rétorqua Allison.

Elle s'empara de la seringue et inséra l'aiguille dans la poitrine du patient. Bientôt, le tube se remplit de sang. Mais cela ne suffit pas à décompresser le thorax, et les deux chirurgiennes comprirent à l'unanime, que l'une des artères coronaires avait probablement été transpercée par la sonde. Il y avait beaucoup trop de sang. Allison en fut émerveillée.

— Etat de choc et arythmie, remarqua Geffrah avec horreur. Il est tachycarde.

— J'aurais besoin d'une autre aiguille, exigea la chirurgienne principale. Je vais passer par la voie sous-xiphoïdienne.

— Nous devons pratiquer une angioplastie, rétorqua la cheffe en rejoignant sa subordonnée de l'autre côté du patient.

— Ce ne sera pas nécessaire. Passez-moi le kit de drainage !

— Je trouve votre réflexion étonnamment limitée, docteur Mortensen ! Comment voulez-vous arriver à drainer tout ce sang, alors que l'hémorragie n'a même pas encore pu être contrôlée ?

— L'hémorragie s'arrêtera d'elle-même.

— Elle ne s'arrêtera pas !

— Vous voulez insérer un ballonnet à un patient qui, à la base, voulait se faire poser un pacemaker ?

— Qu'on m'apporte le cathéter-guide ! ordonna la cheffe. La lésion se situe avant la septale, et fait environ 3 millimètres. Trouvez-moi immédiatement un ballonnet qui correspondra. Le plus vite possible !

Tous les membres du bloc s'activèrent. Il y avait une effusion telle qu'on en connaissait que très peu. Des infirmiers ajustèrent le bloc pour une angioplastie, alors que Geffrah s'apprêtait à opérer. Mais pour Allison Mortensen, c'était la jubilation. L'euphorie du meurtre parfait.

Dans quelques minutes, Warren mourrait et on mettrait cela sur le dos du sort, du hasard, qui pouvait se montrer mesquin parfois. Warren ne survivrait pas. Son cœur était déjà bien trop affaibli par l'insuffisance coronarienne dont il souffrait...si en plus une artère coronaire était perforée, c'était sa fin à coup sûr. Il n'y survivrait pas, c'était impossible !

Pourtant, personne (pas même Allison) n'aurait pu prévoir ce qui allait suivre...

***

Encore une fois, Yan se félicita intérieurement de ses talents de prestidigitateur. D'un coup de maitre, il avait réussi à changer les résultats du laboratoire et personne ne s'en était rendu compte. Garder le jeu d'acteur jusqu'au bout, comme il savait le faire. Il feuilleta d'un air réjoui les papiers entre ses mains.

Du HCN, ça ne pouvait guère passer inaperçu. Si jamais la cheffe du département de chirurgie avait eu ces papiers entre les mains, elle aurait très vite compris que cette seringue contenait du cyanure et de la ricine, un mélange de poisons hautement mortels ; et Allison aurait été immédiatement démasquée.

Une chance qu'il ait pu échanger les deux dossiers. Celui que l'infirmière Jones tenait en sa possession, ne montrerait qu'une vulgaire solution isotonique de chlorure de sodium utilisée contre la déshydratation ; bref, tout ce qu'il y avait de plus banal dans un hôpital...

— Vous êtes le chat, tonna une voix féminine derrière Yan en même temps qu'une main lui touchait le dos.

Il se retourna et reconnut immédiatement le visage de Mei Xiang, la jeune chinoise qu'il avait rencontrée plus tôt au laboratoire. Il remarqua, pour la première fois seulement, qu'elle avait les lèvres les plus belles qui soient, qui magnifiaient son sourire.

Et sa peau...en y regardant de plus près, il pouvait y discerner des taches de rousseur sur ses pommettes et juste en dessous de ses yeux bridés. Il n'avait jamais rien de vu de plus anodin et mignon à la fois.

— Je ne savais pas qu'on jouait à chat, rigola-t-il en rangeant dans sa mallette les fichiers qu'il tenait en main.

— Excuse des perdants, releva la jeune femme. Alors, comment s'est passée cette escarrotomie ?

— Annulée. Le patient est mort tout à l'heure, avant qu'on ait eu le temps de le conduire au bloc.

— Le pire dans ce métier, opina la chinoise de son accent particulier. Je suis navrée...

— Voyons le bon côté des choses ! J'ai le reste de la journée libre avant de rentrer en France.

— Moi, je viens de boucler mon appendicectomie. On pourrait aller se prendre un café tous les deux, qu'en dites-vous ?

Yan acquiesça en un sourire, juste au moment où Allison apparaissait au bout du couloir. En voyant sa mine déconfite, le mentor comprit que quelque chose n'allait pas. Pendant un instant, on entendit la voix de la standardiste signaler un code bleu au quatrième étage. Yan prit congé du docteur Xiang, fixant le rendez-vous pour dix-sept heures. Puis il s'approcha de sa recrue, l'air de rien.

— Yan ? le reconnut-elle du premier regard, derrière ses lunettes carrées et sa coiffure figée dans du gel. Que...que fais-tu ici ?

— Tu m'as demandé mon aide, alors j'ai accouru aussi vite que j'ai pu.

Il ressortit le dossier de sa chemise et le tendit à sa recrue, ravi d'avoir pu se montrer utile. Pourtant, cette nouvelle ne sembla pas réjouir Allison plus que ça. Elle était encore plus pâlotte que d'habitude, ce qui n'avait jamais semblé possible aux yeux du docteur McFarland. Une horde de médecins passa dans le couloir sur le pas de course, en trainant avec eux un chariot d'urgence.

— Ça va ? s'enquit Yan en essayant de capter l'attention de la jeune femme, dont le regard était perdu dans le vide.

— Non...non, je ne crois pas...

— Que s'est-il passé ?

— J'avais réussi, rétorqua Allison. J'avais réussi, Yan. Mais...

— Putain tu t'es fait démasquer ? Le patient a survécu ?

— Encore pire, souffla la chirurgienne. Je l'ai moi-même...je l'ai moi-même sauvé...j'ai sauvé Warren Eastwood de la mort...

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant