CHAPITRE 39 (1)

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Il faisait chaud. Le soleil pointait haut dans le ciel bleu-gris. Il y avait encore quelques rares ballons fuchsias et dorés qui flottaient vers le lointain. Des rires fusaient, se mêlant à la musique sobre qui avait colonisé la place de réception.

L'odeur épicée du saumon fumé avait très vite ouvert l'appétit aux invités, et certains en étaient encore à se goinfrer autour du buffet. La fricassée de poulet aux champignons avait particulièrement été appréciée. À présent, tout le monde trouvait son bonheur dans la série de mignardises offerte et la multitude de vins servie aux convives.

— Ce mariage est une réussite, s'écria une infirmière en venant à la rencontre du docteur Emma Jones Kruger.

Cette dernière était vêtue d'une robe blanche en mousseline, avec un bustier drapé et une longue traine qui avait capturé certains pétales de rose décorant le chemin menant à l'autel. Son voile transparent flottait au gré du vent, retenu par un chignon impeccable. Elle était heureuse, ça se voyait à des kilomètres.

— Merci, Dolly. As-tu goûté aux chips de parmesan ? C'est une tuerie !

— J'ai absolument tout mangé, gloussa Dolly dont le ventre gonflé tendait le tissu de soie de sa robe. Les croques-en-bouches étaient succulents ! La cheffe...n'a pas finalement pu se déplacer ?

Lorsque l'on évoqua une énième fois l'absence de sa tante au mariage, Emma se mordit la lèvre en un sourire factice. Elle expliqua à Dolly combien étaient nombreuses les obligations de sa tante à l'hôpital.

En réalité, elle n'y croyait pas un traître mot elle-même. Sa tante ne l'aimait pas, ça n'avait jamais changé et ça ne changerait jamais. Au final, elle était en paix avec ça.

Elle avait Terrence.

La jeune mariée chercha du regard son homme dans l'assistance. Elle l'aperçut, entouré de ses collègues du poste de police. Il s'était débarrassé de sa veste, et sa chemise bleue se trempait au fur et à mesure qu'il transpirait.

Il faisait incroyablement chaud, Emma elle-même commençait à suer. Elle contempla longuement Terry, tellement reconnaissante que cet homme en or soit sienne. Oui, elle était désormais en paix avec elle-même.

Car il était là.

Au bout d'un moment, elle l'aperçut s'emparer de son téléphone dans sa poche, et s'éloigner des autres convives pour prendre un appel. En l'espace d'une seconde, le visage de l'inspecteur prit un air horrifié. Emma réalisa que quelque chose clochait.

Lorsque l'appel se termina, Terrence essaya de retrouver son air naturel, mais l'infirmière était loin d'être dupe. Lorsqu'il posa ses yeux sur elle, elle fit mine de s'intéresser à ce que Dolly racontait, même si cette nouvelle anecdote sur les chips au parmesan l'ennuyait plus que tout.

Et parce qu'il la crut distraite, Terry alerta une demi-dizaine de ses collègues, et ils s'éclipsèrent alors discrètement de l'assistance.

Mais Emma décida de les suivre. Elle n'était pas dupe, quelque chose clochait...

***

— Non ! Allison, arrête !

Warren ponctua son exhortation paniquée par un bond vers la chirurgienne. Bordel, il ne voulait pas être mêlé à une histoire de suicide ! Il l'enserra entre ses bras et saisit sa main in extremis avant qu'elle ne plante la seringue dans son cou.

Mais il dût réaliser qu'elle était plus forte que ce à quoi il s'attendait. La détermination faisait trembler ses bras. Les dents serrées, elle essayait à tout prix de se planter la seringue.

— Je t'en prie, minauda Warren, je t'en prie ! Inutile d'en arriver là.

— Laisse-moi mourir...

— Il en est hors de question, rugit le métis sans lâcher la jeune femme. Allison, écoute-moi. Tu as peut-être fait des erreurs, mais on en fait tous. Tout le monde mérite une seconde chance.

— Tu ne comprends pas, pleura-t-elle. J'ai tué tellement de gens, je ne mérite pas de seconde chance. Tout ce que je mérite, c'est de mourir !

Elle essaya de plus belle de se suicider, mais Warren était décidé à l'en empêcher. Elle le suppliait de la laisser aller au bout, clamant que son absence ferait plus de bien au monde que sa présence.

Elle se souvint de tous ces gens qui étaient morts sous son bistouri, elle se souvint de toutes ces vies qu'elle avait ôtées, de ces cadavres pourris et profanés. Ces gens avaient une famille, des rêves et des envies. Et elle, elle leur avait privé de tout cela. Pourquoi ? Elle n'en savait rien.

C'était ça le pire, elle n'en savait rien...

— Ma vie ne sert à rien, Warren. Je ne sais même plus à quel univers j'appartiens. Je ne veux pas vivre comme ça, en sachant ce que j'ai fait. L'enfer est la seule punition que je mérite. Je n'ai plus aucune raison de vivre, je n'en ai jamais eu. Ma putain de vie ne sert à rien !

— Je t'aime, Allison.

— C'est mesquin, de dire ce genre de choses juste pour m'empêcher d'aller au bout.

— Je suis sérieux, avoua le métis. J'aurais tellement...tellement préféré te détester, mais ce n'est pas le cas. Malgré le fait que je sache ce que tu as fait, je t'aime. Malgré le fait que je sache ce que tu es, je t'aime. Tu es une azalée, Allison. Aimer et se sentir aimé, tu incarnes cette phrase. C'est grâce à toi qu'elle a un sens. Je t'aime...malgré tout, je t'aime. 

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant