CHAPITRE 20 (1)

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Flashback, dix-sept ans plus tôt...

Yan attendait depuis bientôt deux heures. C'était bien plus long que d'habitude. D'habitude, elle était là à vingt-deux heures. Pendant un instant, il se demanda si elle viendrait. Ce n'était pas pour se plaindre, mais le rocher sur lequel il était assis était loin d'être confortable. Et le chant des moustiques était particulièrement désagréable.

Devant le jeune adulte, à plusieurs mètres de lui, un piège à rongeur dissimulé par des branchages et herbes secs. À l'intérieur, s'agitait dans tous les sens un écureuil terrorisé.

Il fallait qu'elle vienne.

Aujourd'hui, c'était le grand jour : le jour où il lui parlerait enfin.

Les cieux nocturnes étaient en partie recouverts de lourds nuages gris. Il menaçait de pleuvoir depuis le matin-même, et le vent soufflait de plus en plus fort.

Et puis, la voilà se ramenant dans sa robe noire dont les manches courtes laissaient entrevoir ses tatouages sombres. Une bandoulière pendait à son cou. Son teint de poupée contrastait avec sa chevelure rouge.

Elle guetta à gauche et à droite, avant de se précipiter vers la cage qu'elle avait dissimulée là. Elle sortit de sa poche un flacon de chloroforme et pulvérisa plusieurs fois les vapeurs anesthésiantes sur l'animal.

Au bout de plusieurs secondes, ce dernier s'effondra, inconscient. Allison ouvrit la cage et le sortit. Elle le plaça sur une souche d'arbre teintée de sang séché. C'était là sa table d'opération. Elle sortit un bistouri de son sac à dos et éventra l'animal.

Yan McFarland était fasciné par ce qu'il voyait. Cette fille n'avait jamais pris de cours de médecine, uniquement formée par les revues médicales qu'elle piquait à sa mère ; mais elle maniait la lame avec une prestance et un naturel abasourdissants.

Il vérifia qu'il était bien dissimulé derrière les arbustes. De sa cachette, il voyait cette lueur vivace qui illuminait le regard enjoué de l'adolescente. Il n'avait pas besoin de la connaître, pour savoir qu'elle était née pour faire ça ; et surtout que ça la rendait heureuse.

Mais son bonheur fut de courte durée.

En effet, dans la nuit chaude et calme, on entendit les herbes bouger. Un homme surgit de la végétation. L'adolescente prit peur, Yan également (il devait se l'avouer).

— Papa ? s'horrifia-t-elle en dissimulant son artillerie.

Yan retint son souffle. Il n'aurait jamais deviné que cet homme était le père d'Allison. D'apparence plutôt grassouillette, une calvitie rongeait sa chevelure blonde et son ventre proéminent tendait sa chemise carrelée verte.

— J'me disais bien que tu faisais des cachotteries dans mon dos, grogna-t-il d'un air à la fois réjoui et sévère.

— Ce n'est pas ce que tu crois...

— Ah bon ? demanda le blond en s'approchant de la demoiselle. Parce que ce que je crois, c'est que tu attends quelqu'un pour lui balancer notre petit secret. Pas vrai ?

— Non ! s'écria Allison en faisant un pas en arrière.

Elle se coinça contre un sapin sur lequel elle s'appuya comme si elle voulait fusionner avec l'arbre. Rapidement, elle fut prise en étau contre l'arbre et le corps volumineux de son paternel.

— Si ! Tu veux me balancer, p'tite pute !

— Papa...

— La ferme ! hurla ce dernier en assenant une gifle sonnante à sa fille.

Pendant un moment, elle en fut étourdie. Il en profita pour tirer sur les pans de sa robe, qui se déchirèrent le long de la couture. Puis il saisit la culotte de sa fille, le regard empreint d'une lueur féroce.

— Je t'en prie, miaula Allison, tu me fais mal...

— Tu le mérites ! Arrête de gesticuler, sinon tu l'auras par derrière, cette fois. Tu sais que je ne plaisante pas, pétasse de Lucifer !

C'en était trop pour Yan. Il bondit hors de sa cachette et fonça sur le bistouri dissimulé dans un talus. Lorsqu'il s'en empara, il le pointa vers le père de la jeune fille. Ce dernier sursauta, ne s'attendant pas à être surpris de la sorte, pantalon aux chevilles.

Allison hurla de terreur. Et...

Plus rien...

C'était à nouveau le trou noir dans son esprit.

Yan avait-il tué son père ?

Une chose était sûre, elle ne s'en souvenait plus...

***

Le lendemain matin, la nouvelle avait déjà fait le tour de l'hôpital. On ne savait pas exactement de qui c'était parti. Une infirmière avait écouté aux portes, puis en avait parlé à un chirurgien qui en avait parlé à un autre. En à peine huit heures, tout le corps médical était courant. En revanche, aucun patient.

Encore moins le concerné...

— Docteur Jones, soupira Geffrah, vous êtes censée rencontrer le psy aujourd'hui. Après ce qui s'est passé hier, vous n'étiez pas censée revenir au boulot ce matin.

— Je vais bien, répliqua Emma sur un ton froid.

Elle n'avait toujours pas digéré la confrontation avec la cheffe la veille, et songeait que cette dernière lui devait des excuses. Mais connaissant sa tante, elle attendrait encore longtemps...

— Je dois me rendre dans la chambre de monsieur Eastwood pour lui expliquer ce qui s'est passé.

— Je viens avec vous, informa Emma.

— Hors de question ! Je n'ai pas besoin de vous, descendez en psychologie. Le docteur Mayer va vous recevoir en pri...

— Je viens avec vous ! la coupa Emma. Vous m'avez reproché de ne pas être assez proche de mes patients, et Warren Eastwood est mon patient ; alors, je viens avec vous.

Entre les deux femmes, la tension ne s'était pas estompée. Geffrah savait au fond d'elle qu'elle avait eu tort de se comporter avec sa nièce de la sorte. Elle le savait. Emma s'était mise en danger pour sauver la vie de son patient. Depuis le début, c'était une bonne infirmière. Et depuis le début, elle avait eu raison sur le cas d'Allison Mortensen.

— Comme vous voudrez, se résigna la cheffe. Allons donc expliquer à monsieur Eastwood comment il se fait que sa chirurgienne ait délibérément essayé de le tuer. Il vaut mieux qu'il l'apprenne par nous plutôt que de l'une des bouches des nombreuses commères de cet hôpital...

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant