Flashback, dix-sept ans plus tôt...
Allison serra les dents et enfonça plus profondément l'aiguille dans sa peau. Elle accueillit la douleur dans sa cuisse avec délice, et un gémissement s'échappa de sa bouche. La pièce dans laquelle elle se trouvait était silencieuse. Il y avait des pupitres disposés en cercle autour d'un brancard recouvert d'un drap aussi blanc que les quatre murets. Une immense lampe circulaire incrustée dans le plafonnier en ogive illuminait la pièce glaciale.
La porte s'ouvrit en un léger grincement. Allison ne se retourna même pas. Assise à califourchon sur l'une des chaises, elle s'appliquait à refermer une énorme balafre qui entaillait sa cuisse gauche. Il s'y échappait une longue trainée de sang qui rampait sur son mollet jusqu'à ses baskets grises.
Elle avait un piercing à l'arcade sourcilière droite et une boucle transperçait l'arête de son nez. Sa chevelure rouge de feu retombait en désordre sur ses épaules et sur une partie de son visage blême.
— Bonjour, je suis le docteur Yan McFarland...
— Je n'ai pas besoin de ton aide, grogna Allison, je m'en sors très bien toute seule.
Elle serra à nouveau les dents et continua ses sutures. Les pas de Yan se rapprochant d'elle vibraient dans toute la pièce. Même s'il ne le montra pas, il fut étonné que la recrue le tutoie malgré son nouveau statut de chirurgien.
Se pouvait-il qu'elle se souvienne de lui ? Elle n'était pas censée se souvenir de lui. Elle était censée avoir tout oublié. Ça devait officiellement être leur première rencontre, même si en réalité ça ne l'était pas...
— Un surjet intradermique, remarqua-t-il sur un ton stupéfié.
— Tu n'es officiellement chirurgien que depuis deux mois, soupira l'adolescente. Pas de quoi prendre cet air hautain avec moi.
Elle avait raison, il n'y avait pas de quoi se prendre la tête. D'autant plus que sa première mission s'était avérée être assez facile ; il n'avait même pas eu à bouger le petit doigt, son patient avait fait un arrêt cardiaque, seulement quelques heures après son internement. Mais selon l'Agence, peu importe comment les choses s'étaient déroulées, la mission avait été accomplie. C'était l'essentiel.
— Vous vous êtes battue ?
— Qu'est-ce que ça peut bien faire ? Moi, personne ne me menace. Encore moins cet avorton de Tiago.
— Tiago ! s'esclaffa Yan en venant s'asseoir en face d'Allison. Tiago, c'est une brute. Entre nous, j'espère que vous lui avez refait le portrait...
— Il doit subir une opération de la pommette gauche demain matin, rétorqua Allison en un demi-sourire fier. Tiago c'est un lâche, un pestiféré. Il a dû me taillader la cuisse au bistouri pour s'en sortir, cette pauvre merde.
— Laissez-moi vous aider, soupira Yan.
Allison sembla hésiter, prête à se désister. Mais Yan insista. Résignée, l'adolescente lui offrit sa plaie. On pouvait cependant voir à l'expression de son regard vert glacé, qu'elle n'était pas très à l'aise à ce contact. Yan continua les sutures en surjet intradermique qu'Allison avait initiées, mais il allait bien plus vite qu'elle. Elle dût en outre s'admettre que les gestes du nouveau chirurgien étaient plus précis que les siens.
— C'est quoi ta spécialité ? demanda-t-elle au bout d'un moment pour briser le silence.
— Cardio, rétorqua Yan.
— Dommage, le nargua-t-elle, la neuro est mille fois mieux.
— Vous changerez d'avis...
Ils discutèrent un long moment, bien après que les sutures soient terminées. Ils apprirent à faire connaissance, brisant au fur et à mesure l'épaisse glace entre eux.
— Pardonnez-moi, docteur McFarland, si j'ai semblé réticente quand vous m'avez proposé votre aide. C'est juste que...j'ai un peu de mal avec les contacts humains. Je ne sais pas exactement pourquoi, ça doit remonter à un évènement dans mon passé, selon ma nouvelle psy...
Mais moi, je sais pourquoi. Ton père...
— Vous me vouvoyez à présent ? rigola Yan en essayant de détendre l'atmosphère.
— Oui, sourit Allison. Pour moi, le respect ne s'impose pas...ni avec l'âge, ni avec le statut social. Je ne respecte pas les gens parce qu'ils sont plus âgés ou plus influents ; mais parce qu'ils le méritent, tout simplement. Le respect se mérite, termina-t-elle en se dirigeant vers la sortie. Oh, je suis à la recherche d'un mentor pour m'aider à progresser dans mon apprentissage. Vous ne voudriez pas par hasard le devenir ?
— Pourquoi moi ?
— A la base, je voulais avoir le docteur Margaux Chabbat. Je viens d'arriver ici, mais tout le monde ne parle que d'elle. Apparemment c'est la reine en neuro.
— Le docteur Chabbat ne travaille plus...ici...
— Voilà, il ne me reste plus que vous, le deuxième meilleur à ce qu'il parait. Je vous promets que j'apprends très vite.
— Je n'en doute pas, opina le châtain entre deux gloussements. C'est à voir, je te tiens informé...je préfère qu'on se tutoie. Et appelle-moi Yan.
— C'est ok, soupira l'adolescente en souriant à demi, bonne journée, Yan.
— Allison, l'arrêta-t-il avant qu'elle ne disparaisse par la porte. Je tenais à te dire...ne laisse pas cette histoire avec ton passé te gâcher la vie. Tu mérites d'être heureuse...ne laisse pas ton passé compromettre ta réussite...
***
Son passé.
Mais oui, bien sûr !
Maintenant qu'elle prenait du recul, Allison comprenait que c'était son passé qui la bloquait. Mais quoi dans son passé, elle ne pouvait le dire.
Bon sang ! Au départ, même si elle savait que son cerveau lui cachait des choses, elle ne s'en était jamais formalisée ; ça ne l'empêchait pas d'accomplir son travail ; jusqu'à maintenant, en tout cas. Allison avait beau retourner le problème dans sa tête, elle ne voyait toujours pas comment se défaire de cette malsaine emprise que Warren avait sur elle ; surtout après ce...
Non, il ne fallait plus y penser. C'était un moment d'égarement, mais elle avait déjà repris ses esprits. Embrasser cet homme était une stupide erreur, un point un trait. Elle préférait de loin l'idée de coucher avec le cadavre de ce dernier. Plus jamais on ne l'y reprendrait. Le temps pressait, c'était sa dernière chance d'agir.
Allison leva le regard des dossiers qu'elle étudiait et croisa celui de Yan.
Mais merde, à la fin !
Il était à plusieurs mètres devant elle, adossé contre le mur adjacent à la porte du service des urgences, grignotant rêveusement un scone. Allison ferma le dossier d'un coup sec, faisant sursauter ses résidents qui, apparemment, somnolaient. La jeune femme avança vers son mentor et lorsqu'elle arriva à sa hauteur, elle le prit par la main et l'entraina dans le parc longeant l'allée principale de l'hôpital.
Il était treize heures, et il faisait une chaleur caniculaire. Sous leurs blouses, les deux chirurgiens transpiraient. La sirène d'une ambulance résonnait près de là. De temps à autre, un vent sec soufflait entre les arbres du parc. Yan s'assit sur l'un des nombreux bancs contre l'allée, et Allison se positionna devant lui en croisant les bras.
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LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1
Mystery / ThrillerAllison Mortensen fait partie de l'Agence des Chirurgiens de Dieu, une organisation criminelle formant secrètement des chirurgiens à l'art de tuer. Quand la jeune femme reçoit sa toute première mission à Londres, elle ne se doute pas de ce qui l'att...