CHAPITRE 5 (2)

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C'était une journée normale qui s'était annoncée au Widburton. Un accident de la voie publique avait mis les urgences en ébullition. Le service de réa-néo-nat était également débordé et, pour finir, une panne d'électricité avait mis cinq ascenseurs HS.

À tout ce brouhaha, se mêlait la voix de la standardiste, qui résonnait dans les haut-parleurs des couloirs bondés. Allison faillit se faire bousculer par des médecins qui filaient avec un patient au bloc. La matinée promettait d'être intense.

La jeune femme remettait sa frange en place, au moment où elle se fit accoster par le docteur Winfrey. Cette dernière avait ses cheveux gris coiffés en un chignon impeccable, et son visage toujours marqué par sa légendaire sévérité.

— Docteur Mortensen.

— Cheffe, répliqua-t-elle en forçant un sourire. Est-ce que tout va bien ?

— Vous vous plaisez dans notre hôpital, j'espère.

— Rien à signaler jusque-là. Je suis sur le point de commencer les visites.

— Un résident s'en chargera, la coupa Geffrah, j'ai un nouveau cas pour vous. Il s'appelle Warren Eastwood, et souffre d'insuffisance coronarienne génétique. Il se fera poser un pacemaker dans à peu près trois heures. Normalement, c'était mon cas...

Le mien à la base.

— ...mais je me rends au bloc pour la réparation ex-vivo d'un cœur déchiré, continua la cheffe. Vous avez sûrement eu vent de l'AVP de ce matin, les urgences sont bondées. J'y passerai la journée, alors vous récupérez ce patient.

— Mais...le docteur Jones disait que...

— Le docteur Jones est une infirmière ici, elle ne décide de rien. Moi, si. Et je vous demande de vous occuper de ce patient.

Allison ne savait pas quoi en penser. Elle n'était pas stupide ! Ça avait l'air d'un piège. Ça pouvait bien en être un. Sinon, pourquoi lui retirerait-on un cas pour le lui redonner le lendemain ? Elle voulait la mort de Warren. Elle voulait son corps, mais pas au péril de sa propre vie ! Après tout, à quoi ça lui servirait d'éliminer la cible si le prix à payer était de griller sa couverture ?

Il y avait anguille sous roche.

— Est-ce que par hasard, vous auriez oublié comment poser un défibrillateur cardiaque ? s'étonna Geffrah Winfrey, en constatant l'air abêti qu'affichait la jeune chirurgienne.

— L'opération est réalisée sous anesthésie locale, et dure environ une heure. Le pacemaker sera posé sous la clavicule, juste au niveau du muscle pectoral. Les sondes sont introduites par une veine du bras et guidées jusqu'au cœur, une à la pointe du ventricule droit, l'autre dans l'oreillette droite. Si, je sais poser un pacemaker. Je suis une chirurgienne cardio-thoracique, il n'y a aucune raison que je ne sache pas en poser un.

— Parfait, s'écria la cheffe. Allez donc expliquer au patient que c'est vous qui vous chargerez de son opération. Je suis contente de pouvoir au moins compter sur vous.

Geffrah Winfrey se retira, et Allison soupira. Piège ou pas, elle avait une mission à accomplir. Et maintenant que Warren était à nouveau son patient, les choses se facilitaient un peu plus pour elle. Elle devait juste être prudente, et rapide.

Tout se passerait bien. Tout se passerait bien. Elle enfonça les mains dans les poches de sa blouse blanche et resserra ses doigts sur le flacon contenant la toxine. Tout se passerait bien.

Elle devait aller s'occuper de son patient...

***

Pendant ce temps, Easton perdait de plus en plus patience. Il avait l'amère impression de s'être fait avoir. On lui avait vanté les qualités de cette Allison Mortensen, d'innombrables qualités. On lui avait fait croire qu'elle accomplirait la mission en deux temps trois mouvements. Mais ce n'était pas le cas !

Son frère était encore en vie. Oui, on lui avait promis que ce serait fait sous un délai de trois jours, certes. Mais qui aurait pu penser que trois jours seraient si longs ? Il voulait de l'action, trêve de paroles !

— Easton, soupira Nelson Bonaparte, pourquoi toute cette...

— Ma question est simple ! s'énerva le métis. Pourquoi mon frère est-il encore en vie ?

Le chef ne répondit pas directement. Il était bien trop occupé à farfouiller dans l'abdomen du cadavre devant lui, celui d'un adolescent qui semblait être mort depuis peu d'une balle dans la tête. Il enfonça violemment son clamp entre les intestins rougeoyants du corps, et y plongea une compresse qui en ressortit trempée de vermeil.

— Nelson, putain ! Réponds-moi. Pourquoi Warren est-il encore en vie ?

— Tu me déconcentres, Easton ! s'énerva le chef. À cause de toi, j'ai perforé le jéjunum ; et si je n'arrive pas à le réparer dans les minutes qui suivent, j'aurais gaspillé un cadavre par ta faute.

— Je ne comprends rien à ton baratin, au cas où...

— Ce qui est tout à fait normal, vu que tu n'as pas cinquante ans d'expérience en chirurgie générale comme moi ! Et une autre chose que tu es loin de posséder, Easton, c'est la capacité de diriger une équipe. Occupe-toi de ce que tu as à faire, et laisse-moi faire ce que j'ai à faire ! J'ai accepté de t'héberger chez moi à cause du lien entre nous, mais n'abuse pas de mon hospitalité.

Il avait à peine terminé sa phrase, que déjà Easton s'était emparé d'un bistouri sur le plateau chirurgical. Poussant des cris de rage et avec une violence inimaginable, il hacha le cadavre ouvert au milieu d'eux, comme un vulgaire bout de viande.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? s'effraya Nelson en voyant le sang gicler de gauche à droit sous les coups de lame. Mais tu es cinglé ! hurla-t-il en se reculant d'épouvante.

Easton plongea ses mains dans l'abdomen ouvert et saisit les organes rougeoyants, avant de les frapper contre le sol en hurlant. Une lueur monstrueuse illuminait son regard clair, alors qu'il continuait de déchiqueter le cadavre devant lui.

Du sang noir avait imprégné son visage, lui donnant des allures d'un démon tout droit venu d'un cimetière. En l'espace de quelques secondes, la pièce était devenue encore plus sinistre qu'elle ne l'était déjà.

Le chef Bonaparte était dans le métier depuis plus de trente ans, mais jamais il n'avait été témoin d'autant de violence. Easton était un psychopathe. C'était un psychopathe, et Nelson se demandait jusqu'où il était prêt à aller pour voir son frère ainé mort.

La seule chose dont il était sûr en cet instant précis, c'était que Warren Eastwood devait périr. Sinon, Easton perdrait les pédales et le lui ferait payer d'une manière ou d'une autre.

La preuve, c'était les organes humains atrophiés éparpillés à ses pieds. Ce gars-là, c'était le genre de personne qu'il valait mieux avoir en ami plutôt qu'en ennemi...

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant