CHAPITRE 19 (2)

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Au bout d'un moment, elle avait entendu quelqu'un hurler « Cessez le feu ! », et la pluie de balles s'était arrêtée. C'est ainsi qu'ils avaient pu s'en sortir.

— Dieu n'en a pas fini de s'amuser avec nous, souffla-t-elle en s'appuyant d'épuisement sur ses genoux.

Lorsque son mentor s'effondra, Allison accourut vers lui et l'empêcha de tourner de l'œil. Pendant leur course, la blessure s'était rouverte et le bandage du châtain était désormais trempé de vermeil.

Sous la pleine lune, Allison put réaliser en outre que le regard de Yan était enfoncé, et sa peau était froide et bleuâtre par endroit. Ce n'était pas normal, après la course folle qu'ils venaient d'accomplir.

— Ils vont envoyer leurs chiens sur nous.

— Tu es déshydraté, souffla la chirurgienne en soutenant son mentor sur ses épaules pour l'aider à avancer.

En effet, la nuit calme lui ramenait les échos d'une rivière qui devait couler non loin de là.

Ils marchèrent sur quelques mètres et tombèrent effectivement sur un ruisseau, qui scintillait sous la pâle lumière lunaire et les étoiles du ciel. Allison aida Yan à boire et resserra son bandage. Il avait déjà perdu beaucoup trop de sang, il fallait qu'elle fasse quelque chose. En plus, cette odeur pouvait attirer les prédateurs, et les mettre plus en danger qu'ils ne l'étaient déjà.

— Il faut qu'on passe de l'autre côté de la rivière, informa-t-elle, après avoir vérifié le niveau de l'eau. Ce n'est pas très profond. Et ça nous permettra de brouiller les pistes.

— Putain, je ne peux plus...je ne peux plus avancer...

Allison observa son mentor ployer sous le poids de la fatigue et de sa plaie. Elle ne l'avait jamais vu aussi mal en point. Si la police surgissait, ils ne pourraient pas s'enfuir à nouveau. Ils ne devaient pas rester là, c'était un fait. Allison le soutint alors, malgré sa masse musculaire imposante.

Un pas après l'autre, ils évoluèrent dans la rivière froide qui dévalait dans son nid. Puis lorsqu'il fallut nager, elle redoubla d'efforts pour que le courant ne les emporte pas. L'eau devenait plus sombre en entrant en contact avec la blessure de Yan. Jamais Allison ne flancha. Elle faisait preuve d'une force mentale inébranlable, quasiment terrifiante.

Car elle avait fini par comprendre qu'en cet instant, leurs deux vies reposaient sur ses épaules seules. En un sens, c'est elle-même qui avait causé toute cette merde.

Lorsqu'ils arrivèrent sur l'autre berge, ils s'installèrent sous un arbre, le temps que Yan reprenne des forces. Au loin, une meute de loups se fit entendre, leurs hurlements faisant trembler les feuilles frêles de hautes fagales.

— Je crois que c'est la plus longue journée de toute ma vie, plaisanta la chirurgienne, la gorge nouée.

— Je ne te contredirai pas sur ce coup-ci, s'essouffla le blessé.

Ils restèrent un long moment sans se parler. Dans la canopée, on entendait des hiboux hululer. Il faisait froid, et Yan, sans tricot, grelottait. Allison se débarrassa du sien, et le donna à son mentor, qui refusa catégoriquement.

— Ne joue pas à l'enfant, gronda-t-elle, ce n'est pas le moment. Tu es blessé, et tu risques de mourir d'hypothermie si ça continue. Laisse tomber ton sursaut d'orgueil et prends ce putain de tricot.

— Ce n'est pas à cause de mon orgueil, soupira le châtain avec une pointe de déception dans la voix, c'est plutôt à cause de la personne à laquelle ceci appartenait...

— Tu appréciais bien cette femme, hein ?

Il ne répondit pas. Apprécier ? C'était si peu dire... Elle représentait tout ce qu'il avait toujours désiré chez une femme. En dehors de l'attirance physique, ils s'entendaient plus que bien. En deux jours, ils avaient construit une complicité telle qu'il en avait toujours rêvée. Mais pendant tout ce temps, elle lui mentait. En un sens, lui aussi, bien évidemment. Mais il n'avait jamais réalisé ce que ça faisait à quelqu'un de lui mentir. Il ne s'était encore jamais retrouvé de ce côté du bord.

C'était désagréable...et douloureux...

Il se sentit telle une merde, plus bas que terre. Ses yeux s'emplirent de larmes, et son cœur se gonfla d'amertume.

— Nous sommes ici pour une seule raison, opina-t-il, le souffle court. Nous avons eu la prétention de croire que des gens comme nous pouvaient aspirer à l'amour...l'amour n'est pas fait pour nous, pour tous ceux qui ôtent des vies comme nous.

«Tuer, c'est s'attirer une malédiction. La malédiction de ne jamais être heureux. La malédiction de ne jamais aimer et de ne jamais pouvoir se sentir aimé. Nous sommes condamnés, Alli...»

— Rien n'est perdu, répliqua cette dernière en posant sa tête sur l'épaule de son mentor. Il y a encore une dernière chose que nous puissions faire pour nous en sortir...

— Putain, tout ce sang, jura le mentor. Sa plaie s'était à nouveau ouverte.

Allison détacha la bande et injecta de nouvelles éponges dans la lésion pour la compacter. Alors qu'elle refermait la blessure, quelque chose d'étrange se produisit. Le froid, l'odeur du sang mélangé à celui de la terre, les hiboux rythmés par les loups chantant dans cette sombre nuit estivale, le mélange parfait d'ingrédients pour faire surgir un souvenir enfoui dans le cerveau d'Allison...

Le souvenir de ce qui s'était passé cette nuit, la dernière fois où elle avait vu ses parents...

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant