— Putain ! hurla Yan en frappant sur le volant de sa voiture. Putain de fiotte !Près de lui, Allison ne réagit pas. Elle garda les yeux ostensiblement rivés sur la route, terrée dans un mutisme pour le moins effrayant. Le coucher de soleil avait teinté l'atmosphère de lueurs orangées.
Il ne faisait pas moins chaud qu'en journée, et les deux chirurgiens s'étaient vite débarrassés de leurs blouses blanches. Yan baissa les vitres du véhicule et laissa le vent sec s'y engouffrer.
— Putain, ça craint, grogna-t-il. Il était mort, et tu l'as ramené à la vie, encore ! Tu l'as ramené à la vie, bordel ! Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?
Allison ne répondit toujours pas. Depuis que Yan l'avait retrouvé dans la cage des escaliers, elle n'avait rien dit. Elle demeurait dans cet état léthargique complètement flippant. Comme si son âme avait quitté son corps, comme s'il n'y avait plus qu'une enveloppe charnelle vide.
En un sens, jamais son mentor ne s'était autant mis en colère contre elle. Dans la voix de Yan McFarland, la déception s'était vite mêlée à la hargne. Sa tempe et tout son cou laissaient entrevoir un réseau de veines gonflées de rage.
— Tu ne te rends pas compte de ce que tu as fait, Alli. J'arrive même pas à y croire, moi-même.
— Que veux-tu que je te dise, Yan ? soupira la jeune femme sur un ton un peu trop calme.
— Tu pourrais commencer par m'expliquer ce qui t'est passé par la tête !
Que lui était-il passé par la tête ? Bonne question. Bonne question à laquelle elle ne détenait malheureusement pas de réponse. Tout ce dont elle se souvenait, c'était ce sentiment de terreur, cette peur viscérale qui avait retourné son cœur lorsque Yan lui avait annoncé avoir tué Warren.
Elle avait eu l'impression que tout son monde s'écroulait, qu'elle perdait pied. Elle ne pouvait se l'expliquer, mais c'était une sensation qu'elle connaissait, qu'elle était sûre d'avoir déjà ressentie. Son passé était meublé de zones d'ombre, mais Allison était désormais sûre que ce passé interférait dans son présent et promettait de détruire son avenir si elle ne faisait rien pour empêcher ça. Elle voulait elle-même comprendre, mais n'arriverait pas seule à déterrer ses squelettes du placard.
— Tu crois, explosa-t-elle, que je suis heureuse d'avoir risqué ma vie pour un mec que je connais depuis à peine deux jours ?
— Tu n'as pas risqué ta vie, tu viens de la gâcher !
— Je sais, aboya-t-elle, je sais putain ! Et j'aimerais moi aussi comprendre pourquoi. J'ai passé toute l'après-midi à essayer de m'expliquer ma réaction, mais je n'arrive à rien.
— Navré, mais il me faut une réponse plus convaincante.
— Je ne sais pas ce que tu veux de moi, merde ! Et puis, laisse-moi te dire que je te trouve incroyablement gonflé, Yan. Tu as passé dix-sept ans à me cacher des choses sur mon passé, alors que tu sais ! Jour après jour, année après année, tu as vu ce secret m'enfoncer dans une boucle infernale, me détruire un peu plus à chaque fois. Mais tu as préféré fermer les yeux. Qu'est-ce qui te dit, continua-t-elle, que ce n'est pas ce truc que tu me caches, qui continue de me pourrir la vie ?
— Ne change pas de sujet.
— Mais c'est ça le sujet, Yan ! ça a toujours été le sujet. Je suis irrationnelle, parce qu'il y a un blocus dans ce putain de cerveau, et tu refuses de m'en parler. Je ne suis plus une enfant ! Je veux savoir.
— Je ne peux rien te dire, souffla le mentor en s'arrêtant à un feu rouge.
— Bien sûr, ricana Allison d'un rire jaune, bien entendu. Écoute-moi bien... avant, je n'en avais que foutre de cette histoire. Tout ce qui m'importait, c'était d'être le meilleur chirurgien de l'Agence, un chirurgien de Dieu ! Et j'y suis parvenue. Mais là, je suis en train de tout faire capoter. En deux jours, j'ai foutu en l'air le travail de dix-sept ans. Et ce n'est pas le pire, Yan.
«Le pire c'est que désormais, ma vie est gâchée à cause de ce maudit truc dont tu refuses de me parler. Qu'importe ce que c'est, tu peux me le dire, Yan. Tu dois me le dire ! Arrête d'éluder la question, et dis-moi ce qui s'est passé. Parce que sinon, apprête-toi à avoir mon sang sur tes mains et ma mort sur la conscience...»
Yan sembla réfléchir un moment, alors que le feu changeait à nouveau de couleur. Puis, au bout d'un moment, il soupira de lassitude.
— Ok, je vais tout te raconter...
***
Emma Jones gara sa voiture à l'angle de la rue et vérifia grâce à son smartphone qu'elle était devant le bon manoir. Elle reconnut la façade en briques grises, en partie recouvertes de lierres. Elle devait se dépêcher, si elle ne voulait pas se faire choper la main dans le sac.
Elle avait au préalable vérifié le système de sécurité de la maison ; c'était un vieux bâtiment, donc aucune caméra, Dieu merci. Mais la porte était protégée par une alarme antieffraction, à laquelle Emma pouvait échapper grâce à la clé à percussion qu'elle avait piquée dans les affaires personnelles de Terrence.
Avoir un fiancé dans la police, ça avait ses avantages.
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LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1
Mystery / ThrillerAllison Mortensen fait partie de l'Agence des Chirurgiens de Dieu, une organisation criminelle formant secrètement des chirurgiens à l'art de tuer. Quand la jeune femme reçoit sa toute première mission à Londres, elle ne se doute pas de ce qui l'att...