CHAPITRE 21 (1)

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Lorsqu'il la vit sortir de la pharmacie en traînant le corps d'une jeune femme derrière elle, Yan comprit qu'Allison était allée au bout de son idée. Son piteux état ne lui avait permis que de faire le guet, alors qu'elle accomplissait le sale boulot à sa place. A l'autre coin de la rue, une jeune femme restait plantée devant sa haie, à les dévisager, un sac poubelle plein dans la main.

— C'est la voiture grise, là ! cria-t-elle en lui lançant un trousseau de clé.

Yan se dépêcha d'ouvrir la portière arrière pour qu'Allison dispose le cadavre sur la banquette. L'autre femme avait déjà le téléphone à l'oreille, son sac poubelle toujours en main, probablement en train d'appeler la police. La chirurgienne s'installa ensuite du côté chauffeur et démarra en trombe en se débarrassant de son sac à dos.

— Tu as tout ? lui demanda son mentor.

— Une trousse de premiers soins, des poches de perfusions et tubulures, quelques seringues, une bonbonne d'oxygène de trente litres, ainsi qu'un kit de bistouris. J'ai aussi pris des bouteilles d'eau, des barres protéinées et trois litres d'alcool au cas où l'un de nous est encore blessé...et on a sa voiture.

— Et son groupe sanguin ?

— B-, comme toi. J'ai vérifié sa carte de donneur. On pourra te transfuser dès qu'on sera en lieu sûr...

La voiture slaloma dans les rues désertes de Galgate, avant d'emprunter un sentier étroit et escamoté. Les deux fugitifs avaient dû faire trois pharmacies avant de tomber sur quelqu'un avec le même groupe sanguin que Yan.

Avec tout le sang qu'il avait perdu, c'était de plus en plus difficile pour lui de tenir le coup. Il était constamment pris de nausées et de vomissements. Dans cet état, s'ils tombaient à nouveau nez-à-nez avec les flics, ils ne pourraient plus s'enfuir...

La nuit avait été longue, et Allison n'avait dormi que quelques minutes. Entre l'état de son mentor à surveiller et le concert tonitruant des moustiques et loups, elle était encore plus épuisée que la veille. Vivement qu'ils soient loin de là. La meilleure solution qui s'offrait à eux était de s'enfuir avant que l'affaire ne soit médiatisée et que leurs photos se retrouvent placardées partout.

Là, leurs chances de s'en sortir seraient quasi nulles.

— Yan ? l'appela-t-elle alors que le véhicule traversait un vieux pont en arc de cercle.

— Toujours en vie, soupira le châtain.

Au même moment, le téléphone de ce dernier vibra dans la poche de son jean. Il s'en empara, rouspéta contre la batterie presque morte, et prit l'appel. C'était la ligne sécurisée de Nelson.

— Chef ?

— Je vous savais tous les deux incompétents, mais pas à ce point ! tonna la voix à l'autre bout du fil.

— Qui êtes-vous ?

— Vous n'aviez qu'une chose à faire, éliminer mon grand frère. Et vous avez lamentablement échoué, nous mettant par la même occasion tous en danger.

— Je veux parler au chef ! exigea Yan avec le peu de force dont il pouvait faire usage.

— Nelson est mort, c'est désormais moi qui dirige l'Agence.

Yan garda longtemps le silence, essayant de déceler si c'était encore ses hallucinations anémiques, ou on venait réellement de lui annoncer la chute du grand patriarche et patron de l'ACD.

— Nous aurons...nous aurons besoin d'une extraction d'urgence...je suis blessé, et...

— Sûrement pas ! le coupa le métis. Il est hors de question que vous conduisiez les flics tout droit sur nous. Vous avez de la merde collée au cul, débrouillez-vous sans nous.

— Mais nous sommes des...

Yan grogna lorsqu'il se rendit compte qu'Easton avait coupé l'appel. Les choses se gâtaient de plus en plus.

Bientôt, la voiture grise se gara au bord d'une route forestière déserte. Le soleil matinal filtrant à travers les hêtres sauvages dessinait des ombres effrayantes sur le goudron. Devant les deux chirurgiens, perchée sur une colline, se trouvait une vieille cathédrale désaffectée.

Une nuée de corbeaux, dont les graillements retentissaient à plusieurs mètres à la ronde, s'envolait autour du clocher de pierrailles grises, supplanté d'une croix noire à laquelle il manquait un bout de bras.

— Cet endroit fera parfaitement l'affaire, dicta Allison en coupant le contact. Aide-moi à porter le sac, je m'occupe de la pharmacienne avant qu'elle ne se mette en acidose. Il me faut tirer le maximum de sang possible.

Voyant que son mentor ne réagissait pas, elle se retourna vers lui d'un air inquiet.

— Qu'est-ce que le chef t'a dit ? s'enquit-elle. Il t'a sûrement demandé de m'éliminer...pas vrai ?

— Nelson est mort, annonça Yan. Easton Eastwood, le frère de Warren, a assiégé l'Agence. Il a refusé l'extraction d'urgence et m'a dit de nous débrouiller sans eux. Nous sommes désormais seuls, Alli...

***

Comme attendu, la presse s'était vite emparée de l'affaire. C'était une véritable explosion médiatique. Des dizaines de journalistes avaient envahi les portes du Widburton Memorial Hospital de Londres, où la dénommée Allison Mortensen avait travaillé pendant trois jours.

Tout le monde voulait comprendre ce qui s'était passé ; comment est-ce qu'une tueuse à gages avait pu s'infiltrer dans un hôpital aussi grand et renommé que celui-là, afin de commettre ses méfaits en toute impunité.

Et qui pouvait mieux répondre à cela que la cheffe de l'institution ? Geffrah était sous un coup de pression énorme. Jamais de toute sa carrière, elle ne s'était retrouvée en une si mauvaise posture. Elle avait déniché les meilleurs avocats pour défendre son hôpital, et se défendre elle-même si la situation venait à empirer.

En à peine une journée, ses cheveux avaient encore plus grisé et son teint palissait plus que jamais. La moitié des patients de l'hôpital était partie ailleurs, et les lieux étaient déserts. Ce n'était qu'une question de temps avant que l'hôpital soit mis sous quarantaine. 

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant