PARTIE I : PREMIERE INFILTRATION - CHAPITRE 1 (1)

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Allison s'éveilla aux premières heures de l'aube. Le soleil commençait à peine à se lever sur la ville de Londres, traversant les rideaux bordeaux de l'immense fenêtre de sa chambre. Il y avait, perchés sur la rambarde de son balcon bronzé, une nuée de corbeaux qui graillaient.

Le jet avait atterri à Londres à vingt-trois heures, et Allison avait juste eu le temps de prendre les clés de son appart pour s'évanouir dans ce lit couvert de vieux draps molleton. Elle n'avait pas encore fait le tour de la propriété, mais de prime abord, cet endroit ressemblait à une maison hantée typique de Londres.

Malgré toute la lumière que les grandes fenêtres laissaient filtrer, les pièces gardaient une certaine sombreur, peut-être dûe aux rideaux épais qui faisaient partie du décor. On aurait dit que les murs avaient tout conservé de leurs deux cents ans d'existence.

L'ornementation était typiquement victorienne, avec des sofas incurvés, des cheminées, et de grosses armoires à la marqueterie d'ivoire. On aurait pu s'attendre à voir un esprit se faufiler d'une porte à l'autre de l'étroit couloir paré de tapisseries murales incarnates.

Des peintures de vieilles dames en noir avaient été encadrées et accrochées un peu partout dans la maison ; Allison les trouva charmantes. La chambre de la jeune fille donnait pleine vue sur le Big Ben, noyé dans les premières lueurs du soleil pâle. Son horloge venait de sonner six heures.

La jeune femme se dirigea toute nue vers la salle de bain aux carreaux noirs et gris. Et alors que l'eau froide coulait sur sa peau, elle réfléchit à la manière dont elle allait tuer ce Warren Eastwood. Elle avait lu dans les annales de l'Agence que le meilleur temps de meurtre était de seulement trois heures, record détenu par une certaine Margaux Chabbat.

Allison s'était fixée pour objectif de le battre. C'était un moyen supplémentaire d'asseoir sa suprématie au sein de l'ACD, de montrer à tout le monde qu'elle était la meilleure. Tuer était ce en quoi elle était le plus doué, et elle ne voyait pas ce qui pouvait l'empêcher d'établir un nouveau record du meurtre le plus rapide. En plus, cet homme sur la photo était vraiment beau, elle avait hâte de pouvoir profaner ce cadavre à sa guise.

Lorsqu'elle sortit de la douche, elle entendit son téléphone vibrer entre les draps cramoisis. Elle s'y dirigea toujours nue, l'eau coulait sur son corps et laissait une trainée sur le carreau derrière elle. Elle reconnut immédiatement le visage renfrogné de son mentor sur l'écran, et prit l'appel.

— Je suis partie il y a à peine quelques heures, et déjà tu n'arrives pas à te passer de moi.

— Bonjour à toi aussi, répliqua-t-il à l'autre bout du fil. Déjà en route pour l'hôpital ?

— Détends-toi, tu veux ? Je commence mon service à sept heures, tonna-t-elle en fixant son reflet blafard dans le grand miroir en forme de pièce de puzzle.

Elle frissonna en croisant son propre regard émeraude et remit sa frange en place. Le soleil d'été commençait à réchauffer ses pores. L'odeur des fientes de corbeaux sur le balcon avait imprégné la pièce, subtile, mais rappelant singulièrement celle d'un cadavre au troisième jour. Yan n'avait pas choisi cet appartement au hasard, et Allison lutta contre l'envie de le remercier.

— D'après mes renseignements, Warren Eastwood sera interné à huit heures.

— Parfait, je serai là pour l'attendre.

Un long silence ponctua sa déclaration. Au loin, on entendit les réacteurs d'un avion qui passait dans le ciel. Allison ouvrit sa valise et s'empara d'un pantalon noir et d'un chemisier blanc. Elle enfila ses vêtements, puis disciplina sa chevelure bleue. Elle jugea que dans cet ensemble, elle avait l'air à peu près normal. Personne n'aurait pu se douter qu'elle était du genre à se servir de son bistouri pour tuer, ou encore à profaner des cadavres. Elle ressemblait juste à une chirurgienne qui aimait son boulot et s'y donnait corps et âme.

En un sens, c'était vrai.

— Le record, c'était de trois heures, c'est ça ? Je dois me rassurer que...

— Allison ! la gronda son mentor. Concentre-toi sur l'essentiel, bon sang !

— C'est justement ce que je fais, se moqua-t-elle. Arrête de te faire tout ce sang d'encre, tu dois me faire confiance. Warren Eastwood ne sortira pas de cet hôpital vivant...

***

— En conclusion, il faut à tout prix que monsieur Eastwood sorte de cet hôpital vivant.

Emma Jones devait regarder sa tante depuis une bonne dizaine de minutes, sans pouvoir prononcer un traitre mot. Ses yeux bleus étaient écarquillés par la surprise et l'incrédulité. Elle avait la bouche entrouverte, essayant de parler, mais aucune parole ne lui venait à l'esprit sur le coup. Après le long monologue de sa tante la cheffe de chirurgie, elle n'en était arrivée qu'à une seule conclusion : cette dernière était folle.

Car quel autre terme pouvait qualifier tout ce qu'on venait de lui raconter ? Un ennemi invisible entre les quatre murs du Widburton ? C'était inconcevable à l'ouïe. Le seul ennemi invisible dans cet hôpital était la mort, son aura flottait partout dans cet hôpital. Tout le monde finissait par y être confronté, les médecins encore plus.

La mort, c'était le seul ennemi contre lequel elle était préparée à sebattre. Ça, c'était des choses qu'elle n'avait pas vraiment réalisées quand elle avait commencé sa formation d'infirmière. Et aujourd'hui, malgré un doctorat obtenu avec tous les honneurs, elle n'arrivait toujours pas à s'y faire. La mort la faisait encore autant frémir.

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant