CHAPITRE 3 (1)

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Lentement, le poison se répandait dans ses veines.

Warren n'aurait jamais pu se douter que son frère le haïssait au point de commanditer sa mort. Ils avaient grandi ensemble. Ils avaient passé des nuits entières à regarder des films d'horreur, sursautant en silence et se retenant de crier de peur d'alerter leurs parents endormis.

Ils avaient partagé des virées en moto, des fous rires, et même des seaux de nuggets qui se terminaient toujours par un jeu de pierre papier ciseaux pour savoir qui aurait la dernière cuisse. Bien sûr, c'était à une autre époque. Ils avaient maintenant trop grandi pour ça. La mort de leur mère les avait éloignés alors même que ça aurait dû être le contraire ; quand leur père à son tour avait trépassé, ça avait mis un point final à leur relation.

Leurs parents avaient toujours su que pour garder la pépinière dans la famille, il ne fallait surtout pas la confier à Easton, qui n'aurait pas hésité une seule seconde à la vendre. C'était leur patrimoine familial, l'œuvre de deux vies entières. Warren clamait souvent que jamais il ne commercerait Amity, car il tenait à cet endroit.

En réalité, il avait bien trop peur que le fantôme de sa mère hante à jamais ses nuits s'il s'y hasardait. Elle aimait trop la pépinière, de son vivant. Pourtant, Warren rêvait quant à lui de voir le monde, de le dominer. Il rêvait d'exotisme, aussi bien littéralement que sexuellement. Les londoniennes commençaient à lui donner le tournis.

— Êtes-vous d'ici, docteur Mortensen ? demanda-t-il au médecin, alors que cette dernière injectait le diurétique dans son cathéter.

— Je suis née à Winkler au Manitoba, mais j'exerce à Paris.

— J'ai toujours rêvé d'aller en France, sourit Warren. Mais c'est compliqué quand on a un cœur en plomb de Langban.

La blague amusa Allison, et il en fut satisfait. Après tout, ne disait-on pas que « femme qui rit, à moitié dans ton lit » ? Il l'imaginait déjà nue, livrée à lui, mais pas soumise. Non, il les aimait avec un soupçon de rébellion.

Déjà ses pensées commençaient à voguer un peu trop loin, que la porte s'ouvrit à la volée. Warren eut si peur qu'il faillit faire un arrêt. En l'espace d'une seconde, ses fantasmes dépravées se dissolurent. Tous les regards se tournèrent vers l'infirmière blonde qui venait de s'engouffrer en trombe dans la pièce.

— Excusez-moi, qu'est-ce que vous faites ?

Emma Jones essaya de rester stoïque, mais elle sentit ses jambes flancher lorsque son regard croisa celui d'Allison Mortensen. Il y transparaissait une noirceur que ne pouvait guère contenir une seule âme. Jamais elle n'avait vu autant de ténèbres dans un regard pourtant si vif. Elle en fut momentanément effrayée, mais ne fléchit guère.

— Il y a un souci ? s'inquiéta Kate en fronçant les sourcils.

— Qu'est-ce que vous lui donnez ? demanda Emma en fixant Allison, les poings serrés.

Cette dernière se redressa, et un sourire factice étira ses lèvres.

— Injection ivd de deux milli de Lasilix. Sa tension est à 15/9. Un problème ?

— Je peux vous parler en privé ? exhorta Emma.

Allison accepta en un autre sourire, malgré son cœur qui cognait sourdement contre sa poitrine. Un pas après l'autre, elle suivit le docteur Jones, l'air stoïque mais en réalité pétrifiée. Une fois dans le couloir sombre et crasseux animé de va-et-vient perpétuels, elle expliqua encore une fois à l'infirmière la nécessité d'injecter un diurétique au patient. Mais la blonde ne l'entendait pas de cette oreille.

— Qui êtes-vous ? Je ne me souviens pas de vous avoir déjà vu au Widburton.

— Je suis le docteur Mortensen, cardio-chirurgienne. Je remplace temporairement le docteur Bargnava, en congés suite à son accident de voiture...

— Et où travailliez-vous avant ?

— Je ne crois pas que ça vous regarde, la coupa Allison.

— Ok...mais vous n'êtes pas sans savoir qu'une chute brutale de pression peut entrainer une ischémie myocardique ou cérébrale chez ce patient ! tonna Emma Jones. Sans parler de la possibilité d'une hypersensibilité aux sulfamides. Avez-vous seulement lu son dossier ? Et qu'avez-vous fait du risque d'hypovolémie ? Ou pire encore, celui d'hypokaliémie ?

— Bien, sourit Allison, nous éliminerons les risques au fur et à mesure. Nous sommes en cardio, aucune action n'est sans risques.

— Pourquoi ne pas éliminer tout de suite ces risques, par exemple en ajoutant de la sulfasalazine ou de la dapsone au traitement, combiné au spironolactone pour prévenir une éventuelle hypoka...

— Docteur Jones, siffla Allison en lisant sur la carte id de la blonde, je suis peut-être la petite nouvelle, mais je ne suis pas stupide. Je choisis en toute connaissance de cause les traitements pour mes patients. Et je n'ai besoin d'aucune infirmière pour cela. Il y a une hiérarchie ici, tâchez de ne pas l'oublier à l'avenir. Je vous saurai gré de ne plus jamais m'interrompre de la sorte quand je serai avec mon patient.

— Justement, je suis adjointe à la direction des soins infirmiers ici, ce qui signifie que je me dois de valider chaque traitement avant son administration. Mais de toute façon, ce n'est plus votre patient, répliqua Emma. Et je vais quand même le mettre sous sulfasalazine et sous spironolactone, au cas où vos diurétiques deviennent néfastes pour lui.

« La cheffe Winfrey récupère ce cas. Désormais, c'est elle qui s'occupera de Warren Eastwood. Autrement dit, docteur Mortensen, personne d'autre n'a le droit de s'approcher de lui. »

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant