CHAPITRE 9 (1)

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Comment avait-il réussi à lui retourner le cerveau ? Comment ce gars, pour qui même le simple acte de la respiration était une torture, avait réussi à la faire faillir à sa mission ? Elle y était pourtant presque. Warren avait été à deux doigts de mourir. Un doigt, même !

Et elle, de ses deux mains, elle l'avait ramené...

Quand pendant l'angioplastie, le patient avait finalement fait un arrêt comme elle s'y attendait, elle avait intérieurement jubilé. Elle s'était dit qu'enfin elle avait triomphé, que les choses ne pouvaient pas mieux se passer. Au départ, elle avait feint l'inquiétude. Mais très vite, son désarroi factice était devenu réel.

Elle s'était retournée vers Warren et n'avait pu croiser son regard azuré, son regard plein d'amour et de désir. Il avait les yeux clos, et elle s'était alarmée. À ce moment, quelque chose d'aussi dérisoire qu'un baiser était presque devenue aussi vital que de respirer. Mais le mal était fait.

Et elle avait sauvé la cible qu'elle était censée éliminer.

Elle en était encore là, adossée au pas de la porte de la salle de réanimation, à observer le patient endormi. Quelqu'un s'éclaircit la gorge derrière elle. Elle se tourna à demi, et aperçut la cheffe du coin de l'œil.

— Ses constantes sont bonnes, annonça la demoiselle en se mordant la langue. J'ai déjà parlé à son amie, elle est allée chercher de quoi se restaurer. Tout cela est arrivé à cause de moi. J'ai perforé le myocarde et l'artère coronaire avec la sonde. Tout ça est de ma faute...

— Quand j'avais à peu près votre âge, raconta Geffrah, je côtoyais un patient qui présentait une toux rebelle, une dyspnée, des douleurs thoraciques et une pneumopathie.

— C'était un asthmatique ?

— J'avais moi aussi émis cette piste dès l'abord. Il était constamment sous dexaméthaxone et sous sabultamol. Ça arrivait à le soulager, mais il était vite devenu addict. Il parlait difficilement de ce qu'il ressentait, c'était le genre pour qui avouer qu'il avait mal était un signe de faiblesse.

«Bien vite, il avait commencé à présenter des signes de dysphonie, je ne reconnaissais plus sa voix. Et il maigrissait à vue d'œil. Un jour, j'étais de garde à l'hôpital, quand la fille du patient est arrivée en trombe avec lui. Il avait le tricot tâché de sang...du sang qu'il crachait...depuis plus de quatre heures déjà.»

— Un cancer...

— Un cancer, acquiesça Geffrah, un cancer primitif des bronches. Mes collègues ont rapidement pris les choses en main et ont essayé une lobectomie. Mais la zone touchée par le carcinome était trop grande. J'ai appris plus tard que le patient était décédé cette nuit-là, sur le billard...par ma faute. Car j'étais chirurgienne, et je n'ai pas pu diagnostiquer le mal dont il souffrait.

— Mais pourquoi n'avez-vous pas participé à l'opération, si c'était votre patient ? s'enquit Allison.

— Parce que ce patient, rétorqua Geffrah la gorge nouée, c'était mon petit frère.

Allison ne savait pas être compatissante à la souffrance des autres. Pour elle, souffrir c'était se montrer faible. Et elle détestait être faible. Elle détestait tous ceux qui l'étaient également. Pourtant, dût-elle s'admettre que l'histoire de la cheffe était triste.

Au bout du compte, elle vivait depuis toutes ces années avec la culpabilité de la mort de son frère. Allison pouvait mieux comprendre son caractère dur ; c'était uniquement un reflet de ce qu'elle ressentait depuis tout ce temps.

— Je suis terriblement désolée, mentit-elle pour briser le silence pesant qui commençait à s'installer.

— Tout ça, continua Geffrah, c'est pour vous dire que l'incident avec la sonde, ce n'était pas de votre faute. Les veines du patient étaient trop friables, vous le savez et je le sais. En plus, vous m'avez littéralement arraché le bistouri des mains pour sauver ce patient. Sans vous, il serait probablement déjà mort !

« Docteur Mortensen, on fait tous des erreurs. Parfois des erreurs de jugement, parfois des erreurs de diagnostic, parfois encore de simples erreurs. Mais l'essentiel est de ne pas rester bloqué sur cela. L'essentiel, c'est de savoir ressaisir sa chance lorsque l'occasion se présente. Quand on est chirurgien, il faut savoir remonter en selle. C'était du très bon boulot, aujourd'hui.»

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant