CHAPITRE 22 (1)

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La perfusion sanguine qui coulait dans les veines de Yan l'avait quelque peu remonté. Il avait repris des couleurs, et ses mouvements étaient déjà plus vifs. Allison devait s'avouer qu'à un moment, elle avait cru qu'il ne tiendrait pas.

Elle avait dû se démerder avec le peu de ressources en sa disposition, afin d'improviser un matériel archaïque pour le prélèvement sanguin. Près d'eux gisait le corps sans vie de la pharmacienne, partiellement recouvert d'une bâche plastique blanc pris sur l'un des nombreux sièges de la vieille cathédrale.

Un autre faisait office de drap, sur lequel le blessé était étendu. Allison quant à elle, s'était adossée contre l'autel. Elle avait piqué le tricot blanc de la pharmacienne, ainsi que le jean de cette dernière. Derrière elle, une immense statue du Jésus crucifié. La lumière du soleil décantant à travers les vitraux irisés colorait leurs silhouettes de diverses teintes.

Les fenêtres projetaient des carrés de lumière sur le sol recouvert de poussière. Tous les bancs de l'enceinte étaient protégés de bâches blanches poussiéreuses et jonchées de toiles d'araignée. Les statuettes de Joseph et de Marie aux bras brisés, semblaient fixer les deux intrus de leurs regards froids et pleins de reproches.

— Je dois avouer que je suis larguée, soupira Allison en fermant les yeux. Je n'imaginais pas que ce serait...si dur...

— Je te l'avais dit au départ, rappela Yan.

— Ça ne m'aide pas beaucoup, ça.

— Alli...

— Je suis un monstre, Yan. Je suis un monstre sans cœur. Tous ces gens que j'ai tués, sans flancher, sans avoir le moindre petit remords. Avant, je trouvais ça normal. Je n'en avais rien à foutre de ce que les autres pensaient, tu sais ?

— Tu as été diagnostiquée sociopathe, tu ne peux pas ressentir ces choses-là.

— Alors merde, j'aurais préféré vraiment l'être, Yan. J'aurais préféré être ce monstre sociopathe, à jamais ! Parce qu'avant, je ne ressentais pas ces choses-là ; je n'en avais pas conscience. Mais aujourd'hui...j'ai l'impression d'étouffer sous le poids de ce que j'ai fait. Allison Mortensen...la terreur de l'ACD. La chirurgienne de Dieu au regard de méduse. La seule qui ait réussi à égaler cette pestiférée de Margaux Chabbat.

«J'adorais qu'on parle de moi de la sorte. J'inspirais crainte, j'avais le pouvoir entre mes mains. J'étais comme un Dieu, le Dieu de la mort. Mais maintenant, je réalise combien ce que j'ai fait est répugnant. Ce que je suis est répugnant, Yan. J'ai ôté plus de vies que je ne pourrai jamais en sauver...et je me déteste pour cela.»

— Je ne peux pas te laisser dire ça, soupira le mentor. Alli ! Tu as peut-être tué des gens. Mais moi, tu m'as sauvé. À deux reprises ! Déjà, si tu n'avais pas accepté de me suivre à l'Agence, il y a longtemps que je ne serais plus de ce monde. Et puis...si tu n'avais pas assassiné cette pharmacienne, c'est moi qui serais mort. Tuer Warren Eastwood t'aurait permis de sauver ta propre vie.

«Tu es une chirurgienne de Dieu, bon sang ! Tuer pour sauver ceux qu'on aime, ça ne fait pas de toi un monstre, tu es quelqu'un de bien.»

Allison essuya ses yeux pour empêcher ses larmes de couler. Le croassement des hiboux se répercuta en écho entre les hauts murs de la cathédrale. Mais le moment d'émotion fut de courte durée, car bientôt, elle entendit un véhicule garer un peu trop bruyamment à l'extérieur.

Cela ayant titillé son attention, elle se leva et approcha des grandes fenêtres de la cathédrale. Et là, elle réalisa avec effroi qu'une embuscade se tendait là-dehors. La police les avait retrouvés et était prête à lancer l'assaut. Ils étaient faits comme des rats, sans aucune issue pour s'échapper.

Comme pour confirmer ses craintes, une balle explosa le vitrail au-dessus de sa tête et déflagra en écho dans la vaste cathédrale encerclée...

Allison ne comprit pas directement ce qui se passait. En un clignement d'œil, elle réalisa qu'elle était revenue à sa position de départ, adossée contre l'autel sacré. Près d'elle, Yan se leva d'un bond alors que les tessons multicolores chutaient sur le parquet de bois sec.

— Yan...miaula Allison, alors qu'une seconde balle explosait un autre vitrail.

La jeune femme respirait fort, probablement sujette à une overdose d'adrénaline. Elle leva le regard sur la grande croix de bois devant elle. Pour la première fois de toute sa vie, elle priait. Si jamais ce Dieu-là existait, qu'il la sorte de cette situation. Si jamais il existait, qu'il la protège. Elle se repentirait ! Elle ferait ce qu'il fallait pour cela...un jour...

Elle ne voulait pas mourir. Pas ici, pas maintenant...pas comme ça...

Rapidement, une rafale de balles déchiqueta la croix déjà affaiblie par des galeries de termites. Celle-ci s'effrita et tomba en lambeaux, tout comme les espoirs d'Allison d'être sauvée.

— Yan...susurra-t-elle encore, sa voix brisée par la terreur. On va mourir ici...

— Pas question, répliqua son mentor en s'emparant de son téléphone. Il composa rapidement un numéro, essayant de paraître assuré et rassurant malgré son pouls qui s'accélérait.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— J'ai une idée.

Dès que son correspondant prit l'appel, des larmes emplirent les yeux du châtain.

— Yannick ? demanda la voix grave à l'autre bout du fil, sur un ton inquiet. Yannick c'est toi, fiston ?

— Papa...

— Qu'est-ce qu'il y a, mon fils ? Que se passe-t-il ?

— Je ne peux pas...je ne peux pas trop parler pour l'instant, papa...essaie de tracer ce téléphone...et viens me chercher. Viens me chercher, papa. Le code c'est ta date de naissance...

— Le code ? Quel code ? Qu'est-ce qui se passe ? Yannick ? Yannick !

Trop tard, il avait déjà raccroché. Il n'avait de toute façon pas de temps à perdre. Leurs assaillants se rapprochaient de plus en plus.

Il avait un plan.

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant