CHAPITRE 5 (1)

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La sonnerie du téléphone d'Emma la sortit de sa torpeur. Le jour se levait à peine, dissipant les ombres de la nuit qui s'étaient aplanies sur la ville endormie. Le ciel était un mélange nébuleux de bleu et de rouge, et les premiers rayons de soleil dissipaient la brume qui noyait la plupart des immeubles du paysage.

Le téléphone sonnait toujours, et Emma et ouvrit les yeux. La nuit avait été bien longue. La jeune femme n'avait finalement pu fermer l'œil qu'au petit matin, après avoir passé des heures à se tourner et se retourner toute anxieuse dans son lit. À ses côtés, Terrence grogna et ramena les draps sur son torse recouvert de poils frisés.

L'infirmière s'empara de son téléphone qui sonnait toujours. C'était sa tante. Elle soupira en se frottant les yeux. Il était à peine sept heures, et c'était le weekend. Pas qu'elle détestât son boulot, mais chaque férié était pour elle un jour bien mérité. Elle se leva sans faire de bruits et se dirigea vers sa salle de bain, où elle s'y enferma. Sa chevelure blonde retombait en désordre sur les franges de sa courte nuisette bleue.

— Cheffe ? répondit-elle après un long bâillement.

— Docteur Jones, où êtes-vous ? s'écria Geffrah Winfrey à l'autre bout du fil.

— Je...cheffe, on est dimanche ! Et ça fait des semaines que je vous ai dit que je ne pourrai pas bosser aujourd'hui. Terrence et moi avons rendez-vous avec le pâtissier qui s'occupera des croque-en-bouches de notre mariage, et nous devons...

— Je vous demande pardon ? s'étouffa la vieillarde à l'autre bout du fil. Docteur Jones ! Vous avez un patient, si je ne m'abuse. Un patient qui, de surcroit, est la cible d'un tueur fou ! Et vous me parlez de croque-en-bouches ?

— Le Widburton a au moins une cinquantaine d'infirmiers ! répliqua Emma. Et c'est vous qui allez opérer cet homme, pas moi. C'est votre patient, je ne pensais pas que vous auriez forcément besoin de moi...je vais me marier, cheffe. Dans un mois, je vais me marier.

« Tout ce que je veux, c'est une journée pendant laquelle je ne vais pas penser à des tueurs fous, des morts, ou encore...au Widburton. Je veux une journée pendant laquelle tout ce qui occupera mes pensées, ce sont des croque-en-bouches...»

— Cessez vos enfantillages ! s'énerva la cheffe. Vous êtes une soignante.

— Et une femme, cheffe ! s'exclama-t-elle, du tac au tac. Je suis désolée, mais je crois m'être emballée. Vous aviez raison...je ne suis pas à la hauteur de cette tâche.

— C'est bien ce que je pensais, soupira Geffrah. Vous me décevez, docteur Jones, une fois de plus. J'avais mis de grands espoirs en vous, des espoirs dont vous vous montrez malheureusement indigne. Vous n'êtes même pas digne d'être infirmière...

Geffrah raccrocha, et Emma essuya une larme qui perlait au coin de son œil. C'était injuste. Elle était une bonne infirmière, et elle le savait. Terry le savait, et le monde entier le savait. Mais là, cette situation dépassait ses capacités.

Elle avait reçu une menace de mort, ce n'était pas rien ! C'était loin d'être rien... encore la mort, la mort qui grignotait tout ce qu'elle touchait. La mort qui, tel une vapeur corrosive, érodait tout à l'entour et rongeait jusqu'à les recoins les plus claustrés d'une âme.

Emma était paralysée, même si elle ne voulait pas se l'avouer. C'était la première fois de sa vie qu'elle avait autant peur, peur de quitter sa maison, de quitter son mari, peur de mourir. Et le pire, c'était cette sensation de ne pouvoir rien dire à personne.

Si elle en avait parlé à sa tante, celle-ci n'aurait pas omis de la réprimander en la traitant à nouveau de gamine. Et Terrence, bon sang même pas en rêve. Il était capable de déclencher une émeute rien que pour ça ; et ça, Emma ne le voulait guère. Elle ne voulait pas mêler sa famille à cette affaire. C'était déjà bien trop compliqué.

Mais d'un côté, elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle avait repéré le mercenaire dont il était question ; cette chirurgienne, cette Allison Mortensen... elle était trop suspecte pour être innocente. Emma Jones savait qu'elle devait retourner au Widburton, pour en avoir le cœur net. Elle était peut-être la seule capable de mettre toute cette affaire au clair.

Au final, elle était dans une impasse ; rester ou y retourner ?

***

Allison Mortensen était arrivée à l'hôpital ce matin-là avec une hargne et une détermination à toute épreuve. Hier, elle n'avait tout simplement pas eu de chance ; mais aujourd'hui...aujourd'hui, elle assènerait le coup de grâce à Warren Eastwood.

Elle ne savait pas encore comment elle allait s'y prendre. Warren n'était plus son patient, ce qui lui compliquait on ne peut plus la tâche. Il lui fallait trouver un moyen d'accomplir sa mission, le tout sans soulever les soupçons.

L'Agence lui mettait de plus en plus la pression ; après tout, elle était Allison Mortensen. Tout le monde s'attendait à ce qu'elle batte le record de cette satanée Margaux Chabbat.

Pestiférée !

Elle devait être la risée de tout ce beau monde, maintenant. Il fallait qu'elle agisse, et le plus vite possible. Avant que le soleil se couche, Warren Eastwood devait être déclaré mort des suites d'un arrêt cardiaque.

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant