CHAPITRE 23 (1)

7 1 0
                                    


Ça faisait bientôt cinq heures que Yan et Allison étaient enfermés dans le coffre-fort de la sacristie. Il faut dire qu'en dépit du fait qu'il était incombustible, ce cercueil était aussi insonorisé.

À l'intérieur, les deux chirurgiens étaient coupés du monde, à l'abri du vacarme à l'extérieur. Ils ne pouvaient pas entendre les flammes dévorer la cathédrale, la réduire en cendres et faire exploser en échardes chaque débris de bois qui la constituait.

Comme attendu, l'incendie avait réussi à arrêter la progression des snipers. Et avec la chaleur caniculaire, les pompiers avaient du mal à contenir l'avancée des flammes, qui gagnait déjà la forêt en contrebas. Ils arrêteraient d'abord l'incendie, ils fouilleraient les décombres plus tard, à la recherche d'éventuels cadavres.

Car, il était on ne peut plus clair, pour tous ceux qui avaient vu les flammes engloutir le bâtiment de bois, que c'était assurément un acte suicidaire des deux chirurgiens pour ne pas se livrer à la police.

On n'entendrait plus parler de ces deux-là, se juraient tous ces agents. Ils n'auraient pas pu survivre.

Comme ils se trompaient ! À l'intérieur du coffre, Yan et Allison étaient à l'abri des flammes. Mais peut-être pas de l'asphyxie qui les attendait au bout du chemin. Ils commençaient à transpirer de chaleur. Ils étouffaient, se partageant régulièrement le masque à oxygène.

— Rappelle-toi, souffla Yan, ne t'endort surtout pas.

Allison acquiesça en aspirant dans le masque collé à son visage. Elle était essoufflée, couverte de sueur dans sa couverture isolante. L'air était si chaud qu'il brûlait leurs narines et leurs gorges quand ils essayaient de respirer l'air à l'entour.

— À mon tour, miaula le docteur McFarland.

À contrecœur, la jeune femme se débarrassa du masque, et le colla au visage poisseux de son mentor. La caisse était presque remplie de dioxyde de carbone, ils ne tiendraient pas longtemps.

— Vu qu'on risque de mourir ici, je veux savoir quelque chose, Yan. Dis-moi...finalement, ce jour-là dans la forêt...as-tu tué mon père ?

Le châtain écarquilla les yeux, surpris pendant un instant de cette question inattendue. Il ne s'attendait effectivement pas à ce que les souvenirs d'Allison lui reviennent. Il inspira un grand coup, avant de rendre le masque à son interlocutrice.

— Non, répliqua-t-il. Non, je ne l'ai pas tué.

— Tant mieux, siffla la jeune femme, si je survis, j'aurai le plaisir de le faire... moi-même.

— Tu te souviens de tout ?

Elle inspira un grand coup et tendit le masque à l'autre chirurgien.

— Je me souviens du début de cette nuit-là, mais pas de la fin...je me souviens de toi, et du fait que...mon père me violait...

— Tu te rappelles ce qui s'est passé chez toi ensuite ?

— Pas exactement...je me souviens juste de ma mère qui lève un...couteau de cuisine sur moi...tu sais ce qui s'est passé, toi ?

Il lui redonna le masque en toussant d'épuisement. Mais son acquiescement fut la preuve qu'il en savait bien plus qu'elle.

Il savait ce qui s'était passé après...

***

Flashback, 17 ans plus tôt...

— Tu te rends compte, Salomé ? Elle fait le mur chaque soir pour aller voir un homme ! Ta fille est une pute, voilà ce qu'elle est ! vociféra Lucius Mortensen. Et son p'tit ami, putain tu l'aurais vu ! J'ai failli me faire dessus, c'est un brigand j'te dis.

— Ce n'est pas mon petit-ami, grogna Allison, je ne le connais même pas !

La jeune femme était assise sur une chaise, ligotée par une grosse corde qui limitait ses mouvements. Elle avait les yeux rougis et les joues humides. Son père se tenait devant elle, ceinture en main. Ses yeux jetaient des éclairs, et ses cheveux blonds semblaient rougeoyer dans la pénombre.

Il avait enlevé sa chemise carrelée, et son tricot blanc montrait des traces jaunâtres de sueur au niveau de ses aisselles, et d'anciennes tâches indélébiles de ketchup sur son torse. Le feu de cheminée renvoyait des ombres effrayantes sur les murs caramel de la salle à manger. Au-dehors, on entendait des grillons chanter à la pleine lune.

— Maman, je t'en prie...tu dois me croire...

À un coin sombre de la pièce, Salomé était à genoux, un chapelet fluorescent entre les mains. Elle priait. Les lueurs enflammées de la cheminée creusaient encore plus les rides sur son visage émacié. Ses cheveux noirs bouclés se fondaient dans la pénombre. Elle se balançait d'avant en arrière, comme si elle était possédée. Une odeur de charbon carbonisé et d'encens s'élevait dans la pièce.

— Maman, réitéra la jeune femme. Maman, papa est...

Un coup de ceinture transforma ses aveux en hurlements. Un autre coup brûla la peau sensible de ses cuisses, y laissant une longue trace rouge. Allison hurlait, suppliait son père d'arrêter. Mais ce dernier semblait être devenu fou. Les cris glaçants de son enfant ne l'arrêtèrent point. Et sa mère, trop occupée à prier pour venir la sauver...

— Je suis enceinte ! aboya Allison, dans un dernier sanglot éperdu.

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant