CHAPITRE 23 (2)

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Les coups s'arrêtèrent, la prière aussi. Salomé ouvrit les yeux. Jamais on n'avait vu de regard si grand. Lucius avait laissé tomber sa ceinture, la mâchoire serrée, trop effaré pour répondre. Et Allison qui pleurait en silence...

— Que dis-tu ? souffla sa mère en se levant.

— Je suis enceinte, répéta-t-elle.

— Oh mon Dieu ! Fornication, hurla Salomé, fornication ! C'est l'enfant du diable.

— Tu n'aurais pas mieux dit, soupira Allison en posant ses yeux boursouflés sur son père. C'est l'enfant de la bête...

— Oh Seigneur ! Viens nous en aide, Seigneur !

— C'est la bête, qui m'a mise en cloque. Et à chaque fois que je veux témoigner contre elle, la bête m'en empêche, à grands coups de fouets. La bête, elle me possède chaque nuit quand tu dors, maman. Et je ne peux rien dire parce qu'elle me tuerait.

— Lucius, apporte-moi l'eau bénite ! s'effraya Salomé, dans un état second. L'eau bénite, Lucius. Elle a amené le diable sous notre toit.

— Le diable est sous ce toit depuis toujours ! rugit Allison. Le diable est ici même, en notre présence. J'ai le diable pour père !

— Lucifer parle en elle, répliqua Lucius.

— L'eau bénite, pleura la femme de ce dernier en se prenant la tête entre les mains.

— Il faut l'exorciser, Salomé ! J'apporte la Bible.

— Il faut l'exorciser, rappliqua la brune en s'emparant d'un couteau de cuisine. Elle leva l'arme au-dessus de sa fille impuissante, décidée à éventrer le démon en elle.

***

— Ils ont tué...mon enfant ?

— On devrait économiser l'oxygène...

— Réponds-moi, Yan. On va mourir ici, de toute façon. Alors s'il te plait, ne me laisse pas m'éteindre avec des interrogations.

— Je suis arrivé trop tard, déclara son mentor sur un ton coupable. Je suis arrivé trop tard, et le mal était déjà fait.

Allison ne répondit pas pendant un moment. Elle se contenta d'inspirer et d'expirer de l'oxygène frais. Le chrono continuait de tourner. Dans moins de dix minutes, ils manqueraient complètement d'air. Au moins, elle connaissait maintenant la vérité sur son passé. Elle pouvait mourir en paix, les larmes aux yeux mais l'esprit léger.

— J'ai toujours cru que j'avais fait quelque chose de grave...que j'étais coupable d'un crime monstrueux, que j'avais essayé de tuer quelqu'un, par exemple. (Elle inspira une bonne bouffée d'oxygène avant d'en donner à son mentor) Mais j'étais enceinte, c'était ça mon crime.

«Enceinte de mon violeur, de mon propre père. Putain ! hurla-t-elle. Putain, Yan, j'ai tellement envie qu'ils crèvent. Mais la réalité c'est que je risque crever ici, avant eux. Ce n'est pas grave, au fond. Je le mérite tout autant, se résigna-t-elle en un soupir épuisé. Passe-moi le masque...»

Personne ne lui répondit. Elle réitéra sa demande, sentant ses poumons s'échauffer de l'intérieur. Elle suffoquait. Elle tourna la tête à droite et réalisa avec horreur que son mentor s'était endormi. Elle l'appela pour le réveiller, mais rien n'y fit.

«Elle s'empara du masque et inspira deux grands coups avant d'essayer de réveiller à nouveau Yan. Rien. Il avait perdu connaissance.»

Allison réalisa alors qu'il était en hypoxie, son corps manquait d'oxygène. La bonbonne était presque vide, ils seraient à cours d'oxygène dans quelques secondes. S'ils ne sortaient pas de ce four dans les minutes qui suivaient, les conséquences pourraient s'avérer irréversibles pour Yan.

Il pourrait faire un AVC, ou souffrir de lésions neurologiques irréversibles. Son cœur pouvait s'arrêter. En gros, il allait mourir s'il ne sortait pas de là tout de suite.

Les secondes s'égrenaient à un rythme si lent, qu'Allison se demanda si le temps ne ralentissait pas au fur et à mesure que son cœur s'accélérait. Elle faisait une tachycardie. Ce n'était pas bon. Plus son rythme cardiaque augmentait, plus elle consommait de l'oxygène.

Bientôt, la réserve s'épuisa et elle se mit à suffoquer. La panique s'empara d'elle. Elle avait l'impression que ses poumons se consumaient de l'intérieur. L'air était étouffant. Elle se mit à hurler en tambourinant de toutes ses forces contre la paroi brûlante du coffre.

Elle appelait à l'aide, aboyait à s'en éclater les cordes vocales. Son corps entier se révoltait. Des larmes roulaient sur ses tempes. Près d'elle, Yan était probablement déjà mort. Et elle ne tarderait pas à suivre.

Elle commençait à tomber de sommeil, lorsqu'un déclic résonna et la lumière d'une torche l'éblouit. Allison crut d'abord qu'elle était au paradis. Mais elle réalisa lorsque l'air frais l'engloutit, qu'elle était juste en vie et hors de danger.

Quelqu'un tracta le corps de Yan, et elle en profita pour rouler hors du cercueil, se retrouvant sur les débris fumants de ce qu'il manquait de la cathédrale. Une violente quinte de toux la plia en deux, lui arrachant presque ses poumons.

— Yannick ! s'écria l'homme vêtu en combinaison de pompier, qui les avait sauvés.

— Il est en hypoxie, minauda Allison en effectuant un massage cardiaque, accompagné d'un bouche-à-bouche.

Malgré qu'elle n'eût même pas encore repris son souffle, elle utilisa toute sa dernière énergie à ramener Yan. Car, il était hors de question qu'elle survive et lui pas.

— Il est mort ? s'étouffa le père de l'inconscient, un vieillard avoisinant les quatre-vingt ans, au crâne dégarni et le visage ridé.

Allison ne répondit pas. Elle ne voulait pas y croire. Elle continua sa ventilation mécanique, priant de toutes ses forces que cela suffise.

Quand Yan ouvrit les yeux en prenant une grande inspiration, elle put à son tour respirer. Respirer de soulagement. Car son mentor n'était pas mort. Elle l'avait ramené à la vie.

Le ciel était noir au-dessus d'eux, éclairé d'étoiles et d'un quart de lune timide. La cathédrale avait disparu. L'air fumait, le feu avait commencé à engloutir une partie de la forêt, repoussant un peu plus les snipers. On voyait ses lueurs jaunâtres illuminer l'horizon sombre. Yan se pencha sur le côté et vomit tout le contenu de ses tripes.

— Enfilez ces combis et casques, ordonna Renard McFarland en leur donnant des uniformes de pompiers. On déguerpit d'ici vite fait. L'hélico est à environ quatre cents mètres d'ici. Vous pourrez marcher ?

Allison acquiesça, alors que Yan vomissait à nouveau. Ils étaient sains et saufs, et nantis d'un avantage non négligeable : car en cet instant, tout le monde les croyait morts, dépéris par les flammes de l'enfer...

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant