CHAPITRE 31 (1)

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— Aspiration ! ordonna le médecin urgentiste en prenant les devants. J'ai besoin de plus de visibilité.

— Je ne comprends pas, minauda docteur Chabbat en regardant Allison de ses airs de faux chien battu.

Sale menteuse, pestiférée jusqu'à la moelle !

— Il y a beaucoup de tissu cicatriciel, informa le docteur Gipsy, cette artère avait déjà été opérée par le passé. Continuez d'aspirer.

Allison ne comprit pas directement. Elle commençait à ressentir des vertiges et des nausées. C'était à cause de sa tension qui baissait trop vite. Opérée par le passé ? Elle n'avait jamais été opérée par le passé, d'aussi loin qu'elle s'en souvenait.

C'était justement ça le problème.

Elle ne se souvenait que d'une partie de sa vie. Alors probablement avait-elle déjà été opérée de l'artère fémorale, mais ne s'en souvenait pas. Pourtant, Margaux le savait. Comment le savait-elle ? Se pouvait-il qu'elle sache davantage sur sa vie qu'elle-même ?

— Oui, acquiesça la chirurgienne d'une voix penaude, on dirait qu'elle a subi un pontage de l'artère fémoral par le passé. Mais ça ne figurait pas dans son dossier, comment aurais-je pu savoir, docteur ?

— Aspirez ! ordonna-t-il. Passez-moi un autre clamp.

Allison percevait les voix de façon très lointaine. Sa respiration s'était accélérée. Elle se sentait inexorablement partir. C'était comme si elle était attirée par un tunnel de noirceur, comme si elle tombait dans un puits infini.

— Passez-moi du vicryl 2/0, je vais essayer de suturer la plaie.

— L'artère est trop calcifiée, vous ne pourrez pas...

— Docteur Chabbat, je ne vais pas laisser cette patiente mourir, aboya-t-il. On la met sous protocole de transfusion massive ! Elle ne va pas mourir.

Voilà les dernières paroles qu'Allison Mortensen entendit avant d'atteindre le fond du gouffre. Elle perdit connaissance, avec pour ultime vision le regard goguenard de Margaux Chabbat au-dessus d'elle.

Bien sûr que si, elle allait mourir...

***

Allison ouvrit les yeux. C'était le silence autour d'elle. Elle se trouvait dans un couloir sombre et tortueux qui s'étendait à perte de vue, avec des portes de bois circulaires espacées d'une quinzaine de mètres les unes des autres.

Des ampoules brillaient au plafond, illuminant les murs graveleux repeints de vert épinard et de gris. L'endroit ressemblait à une gigantesque fourmilière, avec ses multiples troués et ses galléries de forme arrondie. La jeune femme comprit qu'elle se trouvait à l'Agence.

Comment était-elle arrivée là ? Elle se souvenait être au bloc, se voyant mourir, tomber en chute libre dans un puits noir infini. Puis elle avait ouvert les yeux et s'était retrouvée ici.

Elle se regarda, contemplant sa blouse blanche et ses cheveux qui avaient repris leur coloration bleu nuit. Elle avança pas à pas, guettant à travers les portes entrouvertes menant aux salles de classe et divers blocs. La déco était un peu différente de celle qu'elle avait connue.

Bientôt, des voix commencèrent à lui parvenir. Elle pressa le pas, et se retrouva devant une porte blanche. C'était l'un des blocs de l'Agence. Les voix provenaient de là. Elle entra dans la pièce, dont l'immaculé l'aveugla presque. Au centre, il y avait environ quatre médecins qui s'affairaient autour d'une patiente allongée sur la table d'opération.

— Ah docteur Mortensen, vous nous faites le plaisir de vous joindre à nous.

Elle plissa les yeux et reconnut, derrière le masque chirurgical bleu, le visage de son mentor. Mais il était différent, il semblait plus jeune, aucune ride ne soulignait ses yeux noisette. Comme quand ils venaient de se rencontrer, il y a dix-sept ans.

— Yan ? s'étonna-t-elle.

— Bah dis donc, s'esclaffa une chirurgienne, les nouveaux prennent drôlement leurs aises. Elle t'a appelé Yan, ou je rêve ?

Allison se retourna vers celle qui venait de parler. C'était une femme, dont les courts cheveux roux dépassaient un peu de son calot doré décoré de frelons.

La pestiférée !

— C'est docteur McFarland, dicta Yan, tâchez de ne pas l'oublier. Allez-vous préparer et venez-nous rejoindre.

Allison essaya de comprendre, mais c'était le trou noir. Margaux Chabbat avait le bistouri dans le cerveau du patient, et Yan s'affairait un peu plus bas, au niveau du pli inguinal.

— Alors, vous vous êtes mariés pour de vrai ? demanda l'infirmier de bloc, qui irriguait régulièrement le cerveau ouvert à l'air libre.

— Oui, s'esclaffa Yan. Un saut à la cathédrale Saint-Louis, puis une belle procession le long de la rue Bourbon. Tu y crois, toi ? Nelson nous en veut encore, je pense.

— Au diable, Nelson ! rigola Margaux derrière son masque. On s'aimait, c'est l'essentiel.

— Alors maintenant, vous êtes Margaux McFarland ? pouffa l'infirmier.

— Non, répondit Yan, on a décidé d'un commun accord de garder nos noms. Yan McFarland, et Margaux Chabbat.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Allison en se retournant sur elle-même. 

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant